Je n’idéalise pas l’enfant, prévient Jean-Yves Cendrey. Ces petits d’homme deviennent des hommes et je ne trouve à mes semblables que des séductions limitées… »
Sur le plan littéraire, il éprouve un très vif intérêt pour le sens de la parole des enfants, le rapport complexe qu’ils construisent avec le langage. Avant d’alerter les autorités, il a longuement écouté les gamins qui lui ont raconté leur calvaire de l’école maternelle, des faits qui pour certains remontaient à plusieurs années. Mis en danger, ils produisent un discours dont la fonction est de préserver leur univers familier, même s’il est responsable de leur malheur. Pour l’écrivain, cette parole est un formidable matériau, quelque chose qui questionne le rapport même à la réalité. Les enfants sont mis en demeure, par les circonstances, d’énoncer une lecture des faits qui puisse dire quelque chose de ce qui leur est arrivé, sans bouleverser totalement les fondations de la maison qu’ils doivent, de leur point de vue, continuer d’habiter. En outre, ils s’efforcent d’estimer au plus juste ce que les adultes sont capables d’entendre. Une précaution qui souvent les amène à masquer les faits, voire à les taire… « Ce que disent ces mômes n’est pas à prendre comme le discours de n’importe qui, un discours pur et simple, la vérité… Leurs paroles, surtout sur des questions sexuelles ce sont souvent des reconstructions. Mais pour autant ça ne les rend pas irrecevables… On voit bien, depuis le procès d’Outreau, que dans l’opinion leur parole est frappée d’indignité, et ça c’est gravissime. Les accusations des enfants sont souvent le signe d’une vraie souffrance. Peu d’enfants cherchent à faire du mal à quelqu’un pour le plaisir… »
Il arrive fréquemment que ces signaux de détresse soient émis dans un cadre familial inapte à les percevoir, ou redoutant d’entendre l’inouï. L’absence de réaction de l’entourage peut alors entraîner le silence, le repli sur soi, voire des conduites d’autodestruction. L’écrivain, a fortiori, s’il s’est lui-même arraché à une trajectoire initiée dans une enfance meurtrie, peut être celui qui va percevoir toute la portée de tels signaux. Faire que ces mots ne soient pas proférés dans le néant.
« Quand une jeune fille qui a été contrainte à masturber son instit’ te dit : « La première chose que je faisais en sortant de la classe, c’était de me laver la main », pour moi c’est une chose importante. Une enfant qui te raconterait des histoires, qui serait dans le fantasme oublierait d’ajouter ça. Ce détail littéraire a la valeur d’un examen ADN. Ce genre de phrase amène un niveau de crédibilité comme disent les psychologues experts très haut du témoignage. Je crois que le langage, même quand il n’est pas écrit vient s’imprimer de manière particulière dans certaines zones et tu sais alors à quoi tu es...
Entretiens La parole des enfants
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Jean Laurenti
Un auteur