La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Compassion idiote

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Lucie Clair

Quand un exilé en quête d’intégration projette son sentiment d’exclusion, ou comment se révèle l’envers des « bons sentiments », par Ali Erfan.

Adieu Ménilmontant

Au cœur des intrigues de Ménilmontant, le Ménilmuche d’autrefois continue d’envahir l’histoire des nouvelles diasporas entremêlées. Un photographe y tient sa boutique sans conviction, se croit vaguement amateur et n’ose dévoiler ce qu’il vit comme une imposture mais n’est-ce pas plutôt le reflet de la culpabilité qui l’assaille, d’être là sans parvenir à en éprouver le plein droit, dans ce pays loin de la « lumière limpide, vivante ; celle qui éclairait les bleus des faïences de (sa) ville natale » ? L’exilé, pour qui « l’impunité zéro n’existe pas », suivant les conseils de ses amis maghrébins, se dit « perse » plutôt qu’iranien. Son commerce de quartier jouxte la boutique antédiluvienne d’une femme tout aussi archaïque, vieille au visage d’enfant, ostracisée sans raison apparente. Sous l’effet du double mouvement de la curiosité et de la pitié mais aussi par l’absence de repère et le sentiment de décalage permanent d’avec ce monde qui le supporte sans l’accueillir il l’aide chaque jour à transporter sur le trottoir des bacs de légumes secs pour d’improbables acquéreurs, et devient son confident sans réaliser le guêpier dans lequel il vient de tomber. La vieille, fière de son passé de collaboratrice avec les occupants nazis, poursuit de son fiel les descendants de ceux qu’elle n’a pas réussi à dénoncer en son temps. La pitié bascule dans la haine, la complicité involontaire dans le dégoût de soi mais il serait dommage de dévoiler la fin (forcément) sanglante, rédemptrice, et pourtant étonnante, autorisant le narrateur à clamer « Adieu Ménilmontant ».
Il pourrait s’agir d’un récit : Ali Erfan né en 1946 à Ispahan, est installé en France depuis 1981, et nous invite à tourner les pages d’un album de « photos oubliées ou abandonnées que je devais en principe garder pendant deux ans. » Mais les cadres sont vides, le narrateur n’a pas de nom, et la fiction s’infiltre presque à notre insu, au gré du déroulement de l’enquête. Chaque personnage de la galerie de portraits produit à son tour un éclat de l’univers complet que la rue légendaire entend représenter, apportant un grain de cocasserie ou d’ironie inattendu. Madame Mimi, madame Ginette l’astrologue accueillante, l’épicier égyptien persécuté par une « autre vieille, l’adversaire des épiciers arabes », le curé, le pharmacien anxieux et paternaliste, monsieur Fernandez (on s’appelle monsieur ou madame en vertu d’une courtoisie qui loin d’être désuète, voudrait donner une assise à la fraternité des peuples), une aveugle prenant son chien en photo, contribuent à ouvrir les yeux de l’apprenti détective, et à lui révéler l’essence de sa compassion initiale : « Pourquoi je ne mets pas un terme à cette histoire ? Est-ce par l’effet de la curiosité ou celui d’une maladie : vivre dans la peau des autres, s’identifier à eux et récupérer leur mémoire, s’approprier leur passé ? Je sais tout simplement que, en tant qu’exilé et en l’absence d’une utopie, une perspective de lutte, je me mêle d’un règlement de comptes qui a eu lieu avant que je sois au monde. »
Toute la finesse d’Ali Erfan est dans cette capacité à nous faire ressentir le désarroi du déracinement, le carcan de l’isolement propre à la condition de l’exilé, et les assauts récurrents du racisme dit « ordinaire » derrière une trame romanesque où la candeur conserve sa part de tendresse. Les difficultés du narrateur à maîtriser la langue française (qu’il demande parfois au pharmacien de corriger) reflètent ainsi l’impossible dire, l’absence de voix, l’improbable restauration d’une identité du moins tant que ne sera pas opéré le rite de passage à l’issue duquel l’intégrité se renouvelle, ouvrant au présent le droit de prééminence sur le passé. Pour ce faire, rien ne vaut, finalement, la rencontre avec une vieille à « l’esprit diabolique », et l’abandon de la pitié.

Adieu
Ménilmontant

Ali Erfan
Éditions de l’Aube
158 pages, 17,20

Compassion idiote Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.
LMDA PDF n°65
4,00