Cher Philippe Beck,
Je lis dans le poème 7 de Déductions le mot « antipathie », c’est à partir de là que je vous lis : « Cf. est élan antipathique par légère tranquillité de la référence, et non par utile lenteur de la peine. » Antipathie n’est pas anti-pathos. Un pathos antipathique ? Un problème avec votre poésie ? Une réticence ou une résistance ? Je lis vos poèmes dans un sentiment d’antipathie peut vouloir dire : nulle séduction dans vos vers qu’hermétique, nul transport qu’empêché, nulle empathie, non, je ne saurais m’identifier, je ne saurais me projeter, je sais à peine lire ce que je lis, j’apprends, j’use de la lenteur, j’apprends à lire votre illisibilité, mais une tranquillité se fait dans l’élan antipathique du poème, anti-référentiel ou référentiel par battements, par pulsations verbales lentes. Antipathie ? « Défaut d’affinité entre deux substances » dit le Petit Robert. Vos poèmes agglutinent des matières disparates, le défaut d’affinités entre ses substances est sa dynamique. L’effet de substance tient dans la densité, dans le resserrement psalmodiant du rythme disjonctant. L’électif des affinités est très éclectique, tout peut être appelé dans vos poèmes, les lieux communs, les discours d’époque, dans une discordance maintenue, un défaut d’affinités renforcé par l’atonalité, un certain aplatissement de la voix que ne se transporte nul élan, que seul un « élan antipathique » transporte, un non-élan ou un élan qui ne permet nulle adhérence, nulle adhésion, un élan qui ferait du surplace. L’antipathie est suspens du mouvement, mouvement suspendu, voire contre mouvement, mouvement inverse. Votre poésie est suspensive, voire interjective lorsque dans Élégies Hé, elle retourne la plainte en apostrophe, retourne le substantif en monosyllabes rauques ou primales, pulvérise le discours « dont l’éclat se trouve / dans l’aérien, nébulosités, / illuminations dans de la brume, et bercements d’ailes ? » Le lyrisme est dans le contre élan. Lorsque, au poème 5 de ce même recueil, vous remixez Hölderlin, c’est la négation qui conserve : « Le toit d’habitude et incapable / de fleurir. » L’empathie n’est plus possible qu’impossible ? La lecture du poème est contrariée, un peu comme celle de l’oracle, par nature antipathique, puisqu’il ne dit ni ne cache, puisque son dire est réticent, sentencieux mais pour ne rien dire que d’obscur, un rien arrogant dans l’affirmation a priori insignifiante. Mais l’oraculaire ici est mutant, on pourrait dire caoutchouteux, bouffon, à l’image un peu du trickster, dieu astucieux et sot, malin, ambigu, joueur. Vos vers sont des phrases étrangement affirmatives, comme d’un moralisme (et en cela antipathique), mais un moralisme décalé, capable de se retourner sur lui-même, comme un gant. Vos vers sont le gant retourné du surréalisme, c’est ce que vous écrivez dans Déductions : « Contraire inapparent des poèmes de Breton : poèmes analytiques jouent avec semblant d’associations, mais elles déséparent des réalités. » L’analytique par nature antipathique ? Les « déséparations » déstabilisent toute synthèse. Opérateur de déductions, le poème permet à partir d’énoncés démontrables, repérables, d’en construire de nouveaux. « Déductions de paradis » revient souvent dans ce recueil, « ou inférences de nouveaux paradis ». Qu’est-ce à dire ? Le mot « sérendipité » glissé dans le poème 43 dit bien qu’il s’agit de trouver quelque chose d’important que l’on ne cherchait pas. De quel horizon utopique voire métaphysique s’agit-il ? Que devient l’idée de paradis si on la retourne comme un gant ? La scansion analytique fait une alchimie dans son processus ? Il est aussi question, notamment, de l’été, du soleil, du beau temps que pourrait être la lecture, d’enfance, d’animalité, comme pour aller chercher dans les vieux rêves orphiques le désir renouvelé d’une descente aux enfers avec retournement dans la remontée ?
Votre poésie parle beaucoup de poésie, elle travaille la citation et l’auto-citation dans une sorte de rumination incessante, dans ce grand malaxage de langue, cette étonnante plasticité du prosaïsme contemporain en quoi consiste votre écriture, comme pour toujours indiquer une dimension de « chercherie », d’effort, comme pour montrer que quelque chose continue de se chercher dès lors qu’on parle, dès lors qu’on s’essaye à continuer à dire quelque chose. Une sympathie pour l’antipathie ? Déduction n’est pas séduction. Se soustraire à la séduction est aride, si vous suivre est ne pas vous suivre, si continuer votre lecture pose la question du paradis dans son impossibilité positive, j’aurai toujours plaisir, pour ma part, à ne pas tout comprendre à vos livres, loin de là. Bien à vous.
Xavier Person
Philippe Beck
Déductions,
Al Dante, 106 pages, 15 €
et
Élégies Hé,
Théâtre typographique, 140 pages, 16,50 €
Poésie Paradis des enfants
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Xavier Person
Apprenez à lire la poésie de Philippe Beck. Apprivoisez vos antipathies, explosez vos affinités.
Paradis des enfants
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.