En 1623, dans la prestigieuse Espagne du Siècle d’or, le grand poète Francisco de Quevedo, sans doute du fond de sa cellule, produit un brûlot au titre provocateur : Heurs et malheurs du trou du cul. On pouvait espérer un discours fripon d’une grande santé, riant joyeusement du corps dans la tradition latine ou picaresque. Rien de tel, rien à voir avec l’appétit de nos géants rabelaisiens : voilà un féroce pamphlet, brutal et délibérément ordurier. Quelque chose de dur, de sec, de dévergondé. Dans une langue farouche et inventive, souvent blasphématoire, se succèdent satires, tombeaux, sonnets, « lettrines » diverses confondues aux « latrines ». Car ici tout vient à être emporté par les excès scatologiques et l’obsession excrémentielle, et plus rien n’échappe à l’universelle misère. C’est un désespoir rageur qui chie sur « le blason des monarques », sur le vieil ennemi Gongora « docteur es merdes, lauréat es chiures », sur les « putes médisantes et infâmes »…
« Stupide est le plaisir et stupide est la joie » : les misères de l’existence laquelle « commence par des larmes et du caca » sont celles-là mêmes du trou du cul, qui en constitue l’image inversée. Pour Quevedo, la vie n’est pas vraiment un songe. Et la merde est bien de la merde. On retiendra ce furieux réalisme, envers de la grandiose Espagne, dont la traduction jusqu’alors, le texte était chez nous inédit permet d’apprécier toute la noire énergie.
Heurs et malheurs du trou du cul
de Francisco de Quevedo
Traduit de l’espagnol par Victor Martinez,
Mille et une nuits, 80 pages, 2,50 €
Histoire littéraire Requiescat in culo
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Gilles Magniont
Un livre
Requiescat in culo
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°60
, février 2005.