Après les articles que Joseph Roth a consacrés à la montée du nazisme (Une heure avant la fin du monde voir Lmda N°50), Nicole Casanova traduit ici ceux qui firent en partie sa renommée, lorsqu’il était un des témoins les plus avertis et lucides des Symptômes viennois. Romancier amèrement nostalgique de l’impériale Autriche-Hongrie, il ne peut qu’être dubitatif, puis alerté, face au sort réservé à cette désormais minuscule « République fédérale d’Autriche », créée dans l’urgence de la défaite. S’ils nous conduisent jusqu’en 1939, ces textes datent en effet surtout des lendemains de la guerre : en 1919, rien ne semble encore joué, « l’air est plein de bulletins de guerre issus des conférences de paix », les jeunes Viennoises se livrent aux occupants italiens, et la misère s’installe. Roth observe cette progressive et médiocre apocalypse avec la compassion qui le caractérise envers ses « frères humains ». Il sait choisir avec précision le geste révélateur, la réplique riche d’énigmes et mêler le quotidien à l’Histoire : les enfants s’amusent avec de vraies « bulles de savon » après que les adultes ont cru aux « quatorze grosses bulles de savon de Wilson », un invalide vendant de dérisoires lacets sur un bord de trottoir « n’est plus un vendeur de lacets, mais un mémorial et un prophète ». Tout ce qui autrefois était symbole devient symptôme, le passé s’interprète en fonction de l’avenir, menaçant, et le présent n’est qu’une parenthèse douloureuse. S’approchant parfois, tant sa gamme est large, de la nouvelle ou du poème en prose, soignant particulièrement les chutes, souvent surprenantes ou émouvantes, de ses articles, c’est avec une angoisse contenue qu’il nous conduit dans cette « crypte des Capucins » où, enterrant François-Joseph, il enterre aussi tout espoir pour sa patrie, devenue la proie de celui-là qui « a tordu les branches de la croix », tel un « sous-Judas » !
Symptômes viennois de Joseph Roth
Traduit de l’allemand par Nicole Casanova
Éditions Liana Levi, 206 pages, 15 €
Domaine étranger L’œil aguerri
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Thierry Cecille
Un livre
L’œil aguerri
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°60
, février 2005.