Curieux des autres, attentif à ce que les écrivains produisent, Éric Pessan (né en 1970) préfère parler des livres qu’il a lus que des trois qu’il a écrits. On le voit du reste plus souvent intervieweur qu’interviewé puisqu’il anime ici ou là des cafés ou des débats littéraires. Pourtant, ce Bordelais semble tout entier habité par le désir d’écriture. Si ses trois premiers romans ne sauraient pour l’heure constituer une œuvre, ils balisent du moins un chemin d’apprentissage qui devrait y mener. De L’Effacement du monde (2001) à Les Géocroiseurs qui paraît aujourd’hui, l’évolution est notable. Et la phrase du troisième roman commence à s’émanciper de l’idée qui la dirige. Car Éric Pessan est un romancier à idées. Boris Vian définissait la science-fiction comme le lieu où un paramètre de l’équation qui constitue le monde réel était arbitrairement modifié, déclenchant dès lors une succession de conséquences qui transformaient le réel. Par exemple, prenons l’hypothèse que la France n’est plus arrosée, pendant des années, par aucune pluie. Qu’adviendrait-il ? C’est un peu ainsi qu’Éric Pessan bâtit ses fictions. Dans son deuxième roman, Chambre avec gisant, un jeune père de famille décide de ne plus se lever de son lit. Si l’on ne sait pas pourquoi il agit ainsi, on lit comment son attitude modifie peu à peu, et radicalement, le monde qui l’entoure. Dans L’Effacement du monde, un père (déjà !) perdait peu à peu les mots du vocabulaire rendant de plus en plus douloureux son rapport aux autres. Cette fois, avec Les Géocroiseurs, la catastrophe vient de l’extérieur : ce sont cinq météorites qui se dirigent droit sur la Terre, plus exactement sur le pays nantais. Le choc s’annonce terrible, la population a été évacuée et jamais l’idée de fin du monde n’a autant été présente. Mais un vieil homme résiste. Il ne veut pas partir et se cache chez lui où il poursuit l’œuvre de sa vie : consigner le réel dans des cahiers d’écolier. Comment va réagir son fils, fâché depuis longtemps ? Le roman, une nouvelle fois, explore les relations familiales et les failles de la communication. L’idée de départ, chez Pessan, joue le rôle de ces contraintes que des écrivains se donnent pour arriver à aborder des thèmes peut-être trop intimes…
Le Nantais par adoption évoque immédiatement, si on l’interroge, le fait que la communication avec ses parents n’a jamais bien fonctionné. « Il n’y avait pas de livre chez nous et d’ailleurs mon père n’a jamais ouvert un roman y compris un des miens. » C’est une séance scolaire au théâtre qui lui ouvre les portes de la littérature : l’enfant unique et solitaire veut des livres, il en aura. Tout y passe de la bande dessinée à la science-fiction et « grâce à l’école des choses plus littéraires ». Il se souvient encore des livres dévorés dans le train Nîmes (où il grandit) Bordeaux (où il passe ses vacances).
L’écriture le titille donc à l’adolescence et il compose des nouvelles ; « depuis, la source de ce désir ne s’est jamais tarie. Je n’ai jamais arrêté d’écrire ou de penser l’écriture. » Comme il ressent le besoin d’un jugement porté sur sa production, il envoie, à 19 ans, son premier manuscrit. Refusé par tous les éditeurs. « Après ça, j’ai mis des années à me recoltiner au roman. »
Dix ans plus tard, un livre s’écrit en quinze jours à peine. Il décide de se confronter à nouveau à l’édition et l’envoie à vingt-cinq éditeurs : « je savais que ce n’était pas publiable, mais je voulais montrer quelque chose. » Sa boîte aux lettres va accueillir de « vraies » lettres d’encouragement. « Ça m’a boosté et je me suis vraiment mis à l’écriture d’un roman qui allait être L’Effacement du monde. » Alors qu’il termine ce manuscrit, il reçoit une lettre des éditions de La Différence qui répondent à l’envoi précédent en lui demandant un autre manuscrit. C’est ainsi que La Différence est devenu l’éditeur de ses trois livres.
Le fait d’avoir fondé une famille, travaillé dans des associations culturelles et surtout animé quelques émissions de radio depuis le lycée lui a permis de poser, peu à peu, sa voix. Salarié sept ans durant de la radio Jet FM, il rencontre bon nombre d’écrivains qu’il interroge autant pour l’antenne que pour lui-même. « J’ai dû arrêter la radio parce que c’était un travail passionnant qui ne me permettait plus d’écrire. » Aujourd’hui, il avoue « apprendre en écrivant ». Si les deux premiers romans ont paru avec seulement un an d’intervalle, Les Géocroiseurs a mûri plus longtemps. Éric Pessan entre-temps a reçu de France Culture quelques commandes de fictions et a mené une enquête pour le Conseil Régional des Pays de la Loire sur les conditions matérielles des écrivains aujourd’hui… Une étude qui montre la précarité du métier d’écrivain… mais n’a pas dissuadé son auteur d’écrire, encore et toujours avec, aujourd’hui, le désir d’une écriture théâtrale.
Les Géocroiseurs, Éric Pessan
La Différence, 169 pages, 15 €
Zoom Pessan le décalé
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Thierry Guichard
Auteur de trois romans qui mettent en scène des personnages en rupture de société, il écrit comme on apprend, dans la soif de toujours avancer.
Un auteur
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Pessan le décalé
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.