Europe N°899 (Yvan Goll)
Europe met à l’honneur le poète Yvan Goll, né dans les Vosges en 1891 et mort à Neuilly en 1950. Poète du dernier expressionnisme, qu’il réforme par une poésie proche du cinéma d’alors, intime jusqu’à sa rupture avec Breton du cercle surréaliste, ami des peintres (Léger, Delaunay, Chagall), son nom sera attaché à une sale affaire de plagiat, après son décès, qui fit grand bruit. La veuve Goll accusera Paul Celan de s’être trop inspiré dans Pavot et mémoire (1952) du livre posthume de son mari L’Herbe du songe. La charge ridicule blessa profondément Celan, et le persuada d’une cabale à son encontre dictée par certains critiques antisémites allemands. Jean Bertho, à qui l’on doit ce salutaire numéro, rappelle toute l’affaire avec précision. En « réhabilitant » ici Goll, le souci premier est de redonner à penser le rôle que joua le poète dans les lettres franco-germaniques. Rappelons qu’il fut interdit dès 33 en Allemagne, dont il abandonna la langue pour le français. Si son inspiration suit les bouleversements techniques des temps modernes, ses poèmes, marqués par la tradition juive, usent d’une narration cryptée de symboles, de références géographiques et culturelles. La fluidité de son hermétisme le sépare ainsi de la complexité cassée propre à la syntaxe de Celan. C’est ce dont témoigne l’anthologie proposée et, notamment, le superbe Triptyque vénitien : « est revenu le samedi soir/ Mais dans la cendre et dans le poivre/ Grésillent les ongles noirs d’Abraham Lef ».
Europe N°899 368 pages, 18,30 € (4, rue Marie-Rose 75014 Paris)