Oublions un instant l’histoire, le mythe qui a tardivement tiré de l’oubli une artiste dont l’œuvre est encore aujourd’hui trop mal connue. Oublions Paul Claudel et Auguste Rodin, leurs noms qui étincellent comme des labels et font un écran derrière quoi a du mal à exister pour elle-même une femme prénommée Camille et qu’on voudrait connaître. Elle aurait pu et peut-être eût-il mieux valu s’appeler Honorine Dupont et être animée pareillement d’une soif d’absolu, un désir d’étreindre la vie, de sentir palpiter entre ses doigts la chair brute du monde. Elle aurait bien sûr été écrasée par le poids de ce désir, elle aurait effrayé sa famille, dérangé son époque et on l’aurait empêchée de nuire et de se faire du mal. On l’aurait enfermée entre quatre murs pour qu’elle revienne à la raison, c’est-à-dire qu’elle renonce à tout ce qui faisait sa raison de vivre.
Le beau livre de Michèle Desbordes nous raconte donc une femme, nous dit d’elle ce qu’on peut en savoir quand l’empathie de l’écrivain se joue des clôtures de la conscience et tend vers l’universel de la passion et de la douleur humaines. Cette femme est vieille désormais, internée pour trente années dans un asile du Vaucluse. Le plus souvent assise, elle attend, elle, qui fut une impatiente prise dans le mouvement tourbillonnant de la vie. L’auteur invente une phrase pour dire cette attente, attente d’une libération qu’elle sait improbable, d’une visite de son frère, et de la mort aussi. Dans cette phrase Michèle Desbordes mêle le présent, le passé, les souvenirs du frère, les obsessions de la sœur. Une phrase si belle, si ouvragée que parfois elle fait une robe d’une étoffe trop pesante, trop précieuse pour la frêle Camille. C’est le reproche qu’on fera à ce livre.
Un livre qui tourne ainsi autour d’un secret qu’il ne dévoile pas : « C’était le temps, des jours, des semaines, des mois interminables, personne ne saurait ce qu’avait été le temps pour elle. »
La Robe bleue
Michèle Desbordes
Verdier
153 pages, 11 €
Domaine français Sculpter le temps
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Jean Laurenti
Un livre
Sculpter le temps
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°52
, avril 2004.