S’il trouve son bonheur dans les cimetières, l’homme qui rit gagnerait à ne pas dédaigner les bergeries. L’humour, même chagrin, y est plus clément. C’est une morsure de brebis, brûlante mais bienveillante. Rares sont les connaisseurs qui osent franchir l’enclos. Stephen Leacock, qui entreprit de dérider ses semblables dès 1894 dans Grip, une revue de Toronto, fut de ceux-là. « Les bonnes blagues doivent mordre comme le fait l’agneau, pas comme le fait le chien ; elles doivent piquer et non blesser », écrivit-il en 1935. Les épingles, lorsqu’elles sont plantées avec adresse, éperonnent sans douleur. Cet humour-là, raffiné, est un petit lait amer que l’on déguste à la goutte. Il ne supporte pas les paluches trop lourdes et caille sous les traites grossières. « On atteint l’étape ultime de développement de l’humour, précisait encore Leacock, lorsque l’amusement ne découle plus d’une simple idée « drôle », de contrastes insensés ou de bizarres jeux de mots mais repose sur une conception soutenue et prolongée de l’absurdité de la vie humaine ». Après la théorie Leacock publia en 1935 son essai Humour, sa théorie et sa technique, la pratique ne saurait être méprisée… Pratiquons.
Sous le titre L’Île de la tentation, Le Dilettante propose six exercices d’échauffement des zygomatiques. Six nouvelles décrivant avec obligeance et distinction des « naufrages amoureux ». Ce sont ces deux couples, échoués sur une île déserte, qui s’éprouvent avec une courtoise hypocrisie lors d’un pathétique chassé-croisé sentimental… C’est cette union pitoyable, gâtée par la négligence et l’ennui, qui s’effiloche sans se rompre grâce à un providentiel héritage… C’est cette hilarante « idylle chevaleresque » entre Guido et Iseult, amants tragiques séparés à jamais sans s’être jamais rejoints… Pastiches, récits burlesques, caricatures des finasseries de séduction, ces écrits illustrent l’art accompli de Stephen Leacock, l’un des auteurs de prédilection de Groucho Marx. Issus de ses deux plus célèbres recueils, Nonsense Novels (1911) et Winsome Winnie and Other New Nonsense Novels (1920), ces fragments d’un discours amoureux qui bégaie ont la douceur d’une grisante liqueur.
« L’humour de Stephen Leacock, nota son biographe Ralph Curry, portait sur l’homme de tous les jours assailli par la publicité, les modes, les congrès, le sexe, les sciences, l’absurdité, la machinerie sociale et industrielle et d’autres tyrannies impersonnelles ». Jusqu’à sa mort, le 28 mars 1944, Stephen Leacock publia vingt-cinq œuvres humoristiques son premier livre humoristique, Literary Lapses, parut en 1910. Mais sa biographie n’est pas exempte d’ouvrages capables de déclencher des migraines. Né en 1869 à Swanmore, dans le comté de Hampshire (Angleterre), émigré au Canada avec ses parents en 1876, Stephen Leacock, professeur à l’université McGill de Chicago, rédigea des essais d’économie politique, des ouvrages historiques et des biographies (Mark Twain, Charles Dickens). De ses enseignements économiques, le cancre retiendra cette juste parole : « On devrait réserver le châtiment éternel aux détenteurs d’hypothèques et d’obligations ».
L’Île de la
tentation
Stephen Leacock
Traduit de l’anglais par Thierry Beauchamp
et Romain Rabier
Le Dilettante
122 pages, 13 €
Jeunesse Leacock en stock
janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49
| par
Pascal Paillardet
« L’humour, et on ne peut jamais le répéter assez souvent, doit être gentil », affirmait Stephen Leacock. Un recueil de cocasseries illustre ce propos du « Mark Twain canadien ».
Un livre
Leacock en stock
Par
Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°49
, janvier 2004.