Disons-le nettement, la littérature jeunesse est trop souvent parasitée par l’obsession éditoriale du livre à thème. Les bons sentiments ne faisant pas toujours de la bonne littérature, des écritures s’édulcorent, des livres se ressemblent un peu trop, des énergies créatrices s’essoufflent parfois dans un certain consensus…
Abordant sans détours le sujet de la violence dans les cités défavorisées, Il faut sauver Saïd évite pourtant les discours convenus. Fait de bruit et de fureur, révélant une logique qui nourrit la violence, ce roman de Brigitte Smadja pose la question de se sortir de la spirale infernale, par quels moyens ? Nourrissant le récit d’un enfant des mots des adultes, comme penchée sur l’épaule de son personnage pour l’aider à formuler son histoire, elle sait conduire son roman vers une issue véritable, c’est-à-dire incarnée.
Il faut sauver Saïd est un roman qui se lit de l’intérieur. Âgé de 10 ans, Saïd raconte Saïd le bon élève promis à un brillant avenir contre Saïd qui très vite sent venir le vent de la tempête ravageuse qui l’emportera : « J’ai plusieurs vies : une, à la maison, où je m’occupe de construire un château fort avec Mounir, une où je lutte pour travailler dans le bruit infernal du collège, une où j’ai tellement peur que je suis anesthésié / Anesthésie : suppression de la sensibilité. » Tout le long de ce journal intime aux accents de témoignage, l’auteur donne à son personnage une parole sensée, réfléchie, une conscience toujours en éveil même au plus profond du désarroi. Le discours est sincère et crédible et fait la force du roman. « Le collège Camille-Claudel, c’est comme chez moi. La télé est toujours allumée, des voix murmurent ou crient, et c’est toujours un film de guerre. » Les phrases sont courtes, le style direct et les jugements définitifs, à l’instar des réactions enfantines. Et si les mots simples ne suffisent pas, ceux du dictionnaire (définition à l’appui) pallient ce manque. Par ce biais, l’auteur s’immisce dans le texte, y ajoutant son grain de sel d’adulte, l’air de rien généreuse et tendre avec son personnage, lui donnant ainsi les moyens pour progresser dans un système pernicieux où les victimes deviennent leur propre bourreau.
Symbolique, son aide sauve Saïd du silence et permet de faire entendre sa voix alors qu’il vit une fulgurante descente aux enfers en cette année de sixième. D’abord des oscillations de grande amplitude au-dessus d’un vide abyssal, balançant entre illusions et désillusions. Et l’intensité dramatique d’aller crescendo jusqu’à atteindre l’œil du cyclone, chez la propre famille de l’enfant. Émotion profonde. Aspiration vers le bas. Engloutissement. Saïd a cumulé avec une belle constance tous les malheurs du monde. Anti-héros par excellence. L’auteur va loin, mais les mots qu’elle donne à l’enfant tirent un fil dans le récit et s’en sortir tient alors de l’art du funambule. Apprendre à nommer ce qui fait vertige est le plus sûr moyen de sortir de l’enfance.
Dans ce roman engagé contre l’immobilisme et la résignation, l’écriture de Brigitte Smadja est limpide, sûre et efficace dans ce qu’elle transmet de sensibilité et d’intelligence sur des « sujets délicats » (trafic de drogue, racket, intimidations, adultes déresponsabilisés et impuissants). Pas de sensiblerie ici mais de la finesse pour donner à réfléchir, pour agir et permettre de passer d’une logique de chaos à une logique d’entraide. Le message est clair et la clarté ouvre une perspective d’espoir tout en nous montrant le monde tel qu’il est.
Il faut sauver Saïd
Brigitte Smadja
L’École des loisirs (« Neuf »)
93 pages, 8 €
Jeunesse De bruit et de fureur
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Malika Person
Un livre
De bruit et de fureur
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°46
, septembre 2003.