Le deuxième roman de Sibylle Grimbert porte incontestablement la marque d’un
style en plein épanouissement. Dans Birth Days, son premier ouvrage, l’auteur évoquait déjà le destin d’une femme aux contours psychologiques incertains. Cette fois, l’écrivain effectue un pas de plus dans le processus de dépersonnalisation de ses héroïnes. Claire y raconte elle-même sa descente aux enfers, découpant son histoire en « trois états » distincts. Que faisait-elle « debout au milieu d’un terrain vague au centre d’autres terrains vagues », dans cette communauté sans gourou qui recueille tous ceux qui se sentent inutiles ? Elle-même n’en sait rien. D’ailleurs, au début du récit, le factuel ne semble pas avoir beaucoup d’importance : « sa mémoire n’était pas très fiable ». Quand bien même une piste surgit, le réel se fond aussitôt dans l’indistinct, l’invérifiable. Perdue, Claire finit néanmoins par trouver une explication, qui « passe par un mariage » et un abandon. Les questions que lui pose Éric, un journaliste en reportage, l’aident à revenir vers la vie. Elle quitte peu à peu cette prostration schizophrène où elle s’était réfugiée : « tout son corps avait semblé obéir à une autre volonté que la sienne, être un peu mécanique, s’accrocher à une réalité que son esprit avait quitté ».
C’est par le dépouillement de l’intrigue que Sibylle Grimbert impose son propos, avec beaucoup de tact. Sans le noyer derrière un décor, des personnages et une histoire complexes, elle épure la forme pour sans cesse répéter l’essentiel. Comment justifier sa propre existence lorsqu’il n’y a plus personne autour de soi ? Éric a, lui, trouvé une réponse : « Il avait besoin de quelqu’un pour qui il était nécessaire ».
Le Centre de gravité
Sibylle Grimbert
Stock
137 pages, 11,40 euros
Domaine français Les âmes errantes
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Franck Mannoni
Un livre
Les âmes errantes
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.