Hanokh Levin a écrit 56 pièces de théâtre, six viennent d’être publiées par Théâtrales. Le premier volume regroupe trois comédies, Yaacobi et Leidental, Kroum l’ectoplasme et Une laborieuse entreprise. Elles parlent de voisins, de couples ou de familles qui ne parviennent pas à donner du sens à leur vie. L’écriture de Levin est redoutable d’efficacité. D’emblée les pièces attaquent par des constats de crise ou d’échec. Première réplique de Kroum à sa mère après un voyage : « Maman, je n’ai pas réussi. Je n’ai trouvé ni la fortune ni le bonheur à l’étranger. Je n’ai pas avancé d’un pouce (…). Dans ma valise, il n’y a que du linge sale et des affaires de toilette. Voilà, je t’ai tout dit et je te demande maintenant de me laisser tranquille ». L’incroyable, c’est que, malgré des constats aussi définitifs, les personnages continuent à s’aveugler. Ils sont partagés entre cette lucidité terrible et l’espoir, qu’ils sentent chimérique, d’un changement. Ainsi Kroum attend la superbe créature, très riche, croisée au hasard dans la rue, qui ne voudrait que de lui.
Ou encore dans Yaacobi et Leidental, Yaacobi décide de « vivre sa vie ». La solution selon lui, c’est de rompre avec son ami Leidental et de trouver le coup de foudre. Alors, consciencieusement, il se force à devenir amoureux d’une femme, qu’il épouse le plus vite possible. Tout cela bien sûr se gâte rapidement.
Ces comédies sont quasiment des mises en pièces métaphysiques, dans la volonté des protagonistes de ne pas mourir pour rien… Sous la plume acerbe de Levin, ce désir, poussé à l’extrême, peut se traduire par l’impossibilité d’un personnage de choisir s’il doit faire de la gymnastique le matin ou le soir. Levin pointe du doigt ces faux problèmes qui nous empêchent d’atteindre les vrais questionnements.
Ses personnages n’arrivent pas à agir. Ils parlent comme s’ils étaient spectateurs d’eux-mêmes. Levin utilise souvent l’aparté. C’est un des ressorts comiques si particuliers à l’écrivain, où l’on voit les personnages écartelés entre ce qu’ils disent et ce qu’ils pensent. Une sensation que résume Takthi dans Kroum l’ectoplasme : « As-tu déjà eu l’impression que ta vie n’était pas à l’intérieur de toi, mais à l’extérieur ; sur ton dos, comme une bosse ? »
Ces destinées prennent souvent des allures d’épitaphes, en cela elles sont touchantes…
Le deuxième recueil est composé de trois pièces mythologiques : Les Souffrances de Job, L’Enfant rêve et Ceux qui marchent dans l’obscurité. Les mêmes interrogations sont au coeur de l’oeuvre. Mais l’auteur interroge plus l’humanité dans son ensemble. Il utilise les références bibliques et cherche en même temps dans l’écriture une forme de tragédie moderne, inspirée de la tragédie grecque, avec par exemple une présence du choeur très importante. Ceux qui marchent dans l’obscurité est construite de manière particulièrement inventive car les vivants sont confrontés avec les immatériels (Dieu, le récitant), les agonisants, les morts mais aussi les pensées (brumeuse, vaporeuse, scabreuse).
Laissons le dernier mot à l’écrivain, avec une réplique drôle, tendre et redoutable à la fois : « Une chance qu’à part moi, il y ait d’autres gens sur terre. Parce que ça devient de plus en plus difficile de me leurrer moi-même. »
Hanokh Levin
ThéÂtre choisi 1- Comédies
Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz
174 pages, 18,50 € (121,35 FF)
ThéÂtre choisi 2 - Pièces mythologiques
Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz
et Jacqueline Carnaud
234 pages, 21,50 € (143,03 FF)
Éditions Théâtrales/Maison Antoine Vitez
Théâtre L’épitaphe en pièces
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Laurence Cazaux
Mort en 1999, Hanokh Levin laisse une oeuvre foisonnante et singulière. Une écriture drôle et redoutable à la fois pour décrire ce combat perdu d’avance qu’est la vie.
L’épitaphe en pièces
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.