Édouard Estaunié a ruiné une idée fausse. Après lui, on ne peut plus dire que Polytechnique ne rime pas avec littérature. Si Marcel Prévost, Thomas Raucat ou René-Martin Guelliot, le mentor de Jean Paulhan, ont contribué à relever la réputation esthétique de l’institution, Edouard Estaunié a mis assez de sensibilité et d’esprit dans ses livres pour rendre aux ingénieurs et aux guerriers leur fierté esthétique. Né à Dijon en 1862, Estaunié commence par tenir la chronique artistique de revues. Une préface de Maupassant manque d’orner son premier livre, Un simple (1891) et il invente, en tant qu’ingénieur, un mot qui va marquer notre siècle : « télécommunication » apparaît dans son Traité pratique de télécommunication électrique en 1904. Membre de l’Académie française depuis 1923, il subit un long purgatoire après sa mort en 1942. Les travaux de Georges Cesbron lèveront le voile dans les années 1970 sur son œuvre, une quinzaine de romans et d’essais. Il est heureux que Pierre Belfond prenne la relève en nous gratifiant de L’Ascension de M. Baslèvre, beau roman d’une veine balzacienne.
Justin Baslèvre est un Limousin installé à Paris depuis trente ans dont la vie n’a qu’une face : la bureaucratie dont il est un zélé directeur. Célibataire, l’homme mûr vit dans une chambre d’étudiant sans vie intime. L’imprévu va mettre en branle les sentiments d’un tel menhir et, partant, son élévation spirituelle. L’imprévu c’est Gustave Gros l’employé joueur qui requiert son aide. Le haut-fonctionnaire rencontre sa discrète épouse Claire. Enfin il aime ! Son ascension débute là. Lui, le Croquignole inverse découvre les vertus de l’amour après celles de l’administration. Claire meurt. L’amour vire à la sagesse. On a parfois chipoté l’aspect construit du roman ou encore l’antithèse qu’il établit entre spiritualisme et amour, c’est voir pointu. L’Ascension de M. Baslèvre est un roman des vies intérieures qui, malgré la portée essentiellement psychologique du récit, n’a pas pris une ride. Par la grâce du style, le mystère des êtres mornes devient vivant, simplement. Estaunié considérait l’œuvre d’art comme « le plus exaltant des luxes ». Son Baslèvre en est un bel exemple.
L’Ascension de M. Baslèvre
Édouard Estaunié
Mémoire du livre
307 pages, 98 FF
Histoire littéraire Le Croquignole inverse
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Éric Dussert
Un livre
Le Croquignole inverse
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.