On savait Pierre Louÿs (1870-1925) porté sur la chose. Et certains se souviennent des sensuelles héliogravures qui illustraient Aphrodite (1896), des documents troublants qui valent assurément bien des madeleines. Louÿs qui fut l’ami de Gide, Mallarmé, Valéry et Heredia, fut aussi un érudit, un homme à femmes, un photographe spécialisé dans le nu féminin et l’inventeur d’une minutieuse taxinomie intime des femmes dont il ausculta, dit-on, des centaines. Depuis, les chercheurs nourrissent à son endroit un intérêt constant. On n’écrit pas Trois filles de leur mère ou le célèbre Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation en toute impunité. Avec Le Mariage de Pausole, le collectionneur Robert Fleury apporte de nouveaux éléments sur le phénoménal Louÿs. Le livre, moitié essai biographie moitié correspondance représente une entreprise de reconstitution tout à fait exceptionnelle qui bénéficie, faut-il préciser, de la manie du classement qu’avait l’écrivain. Voilà donc la vie sentimentale de Pierre Louÿs à un moment clé de sa vie, les années 1898-1899, durant lesquelles il cherche à se marier après l’échec de son hymen avec Marie de Heredia devenue Marie de Régnier par un mariage (blanc) avec le poète Henri de Régnier.
Le cœur du beau Louÿs va errer durant plusieurs mois et c’est cette déambulation affective que nous conte Fleury. Si l’on signale la mort de Jean de Tinan en 1898, la répudiation de la maîtresse algérienne Zohra, le mariage avorté avec la sœur de Maxime Dethomas, le harcèlement auquel se livre Louise, la sœur de Marie et… les « noces secrètes » avec cette dernière et la naissance de leur fils Tigre, on admettra que la situation est scabreuse. « J’avais 27 ans, j’avais fait trois séjours en Algérie, deux à Séville, un en Egypte, – J’avais écris Bilitis, Aphrodite et Concha Perez, etc. Je croyais vraiment tout savoir sur l’inaccessibilité du désir par son objet. – Et tout à coup, la plénitude. » Certes, mais les échanges suivis au plus près, c’est-à-dire au jour le jour, n’en restent pas moins embrouillés. « Louÿs continue à être une énigme sans gaieté » écrit madame Bulteau, la confidente de ce petit monde. Empêtré dans ses affections, l’écrivain indécis n’en sort pas à son avantage. Il n’y gagne au fond que sa part d’humanité commune. Robert Fleury quant à lui offre un très bon livre, un modèle du genre.
Le Mariage de Pausole
Robert Fleury
Christian Bourgois
307 pages, 140 FF
Histoire littéraire Son coeur balance
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Éric Dussert
Un livre
Son coeur balance
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.