Lire Calet
Pareille à d’autres, nées entre les années 30 et 50, l’œuvre d’Henri Calet est longtemps restée dans les friches littéraires. Œuvre mineure, œuvre peu ambitieuse. Calet, simple piéton du XIVe arrondissement parisien ; Calet, éternel outsider avant la remise des prix, résumait-on. Ce chantre de la littérature buissonnière, « entomologiste du quotidien », avait, il est juste, le profil du modeste. Son attitude méfiante envers le monde des Lettres n’a rien arrangé. On devait l’imaginer ainsi : marchand des quatre saisons, une fleur rieuse à l’habit, déballant son petit bazar sous le chant enjoué et triste d’un orgue de Barbarie. Aujourd’hui, quelques-uns, toujours plus nombreux, se pressent derrière son nom, comme un point de ralliement, conquis par cet autobiographe des « grands timides », des anonymes. Humble, la voix de cet arpenteur d’histoires est unique. Elle donne à partager : nœud serré de tendresse, émotions chuchotées. Elle vise au cœur.
Ses livres, le lecteur attentif les reconnaît entre mille : un humanisme à fleur de mots, une désinvolte facilité à fouiller l’intime, une mélancolie pleine d’amertume et de drôlerie, des traits d’esprit déroutants. Et surtout, une écriture : simple, inventive, effrontée qui déconcerte par son apport de culture populaire. C’était la posture de Calet devant le monde : hésitante mais authentique, grave mais emplie de compassion. Ce collectionneur des petites peines et des petites joies qui aimait tant la vie (et les femmes) avait résumé cela en une jolie formule : « la littérature à bout portant. » C’était sa façon de s’engager, lui le réservé libertaire, qui avait « tété du lait rouge au berceau ». Contre la laideur de la misère. Contre l’obscénité de la guerre. Contre l’usure du temps.
Ses romans, ses chroniques, malicieusement titrés (La Belle Lurette, Le Tout sur le tout, Peau d’ours, Le Bouquet…) ne cessent de « vadrouiller » autour de son passé. « Je suis à la fois mon héros et mon historien », se plaisait-il à écrire. Invariablement, l’homme se raconte, retranche, rajoute, corrige, affabule. Se cherche finalement. Car si Henri Calet claudique tant dans ses livres, c’est qu’il y a quelque part un défaut de fabrication. Ce rescapé de l’avortement, aux parents faux-monnayeurs, a connu pour le moins une vie rocambolesque. Plus qu’un constat (« Je suis une fausse note partout »), sa saga familiale lui a permis de dessiner un autoportrait d’une troublante épaisseur : un homme en déshérence, inachevé, troué, l’âme toujours en bandoulière, cherchant une pointe de salut quelques pages plus loin, aux confins de la cruelle grande Histoire.
Après Perros, Follain… l’hommage rendu ici par l’Université de Lyon est une excellente invite à visiter cet écrivain si attachant, et encore trop méconnu. De la politique au voyage, de la famille au langage, l’ensemble de ces contributions sonde avec une bienheureuse lisibilité son territoire affectif et littéraire. Quelques textes inédits garnissent la fin du volume, agrémentée d’une bonne nouvelle : la parution prochaine de la première biographie d’Henri Calet, signée Jean-Pierre Baril. Au total, on y lira cette évidence : la voix tremblotante de ce porte-parole des sans-grade ne cesse de résonner en ce siècle finissant.
Lire Calet
présenté par Philippe Wahl
Presses universitaires de Lyon
314 pages, 130 FF