En réunissant des articles consacrés au polar (Chroniques) ou au cinéma (Les Yeux de la momie), François Guérif avait su faire découvrir un critique impeccable, doué pour les constructions théoriques comme pour les assertions péremptoires, composé détonant d’érudition et de drôlerie. La publication de Cache ta joie ! s’impose avec bien moins d’évidence. Voilà huit textes de fiction, souvent inédits et pour le moins disparates -du « noir », bien sûr, mais aussi de l’anticipation, un « récit pour la jeunesse », un synopsis, une pièce de théâtre… On hésite entre fonds de tiroir et fonds de commerce, d’autant que l’éditeur ne s’est pas fendu pour présenter les textes.
Passons, car dans ces pages inégales on prend quand même plaisir à reconnaître l’empreinte de Manchette. La nouvelle intitulée Le Discours de la méthode offre ainsi comme un raccourci de son art. Le dénommé Jules Coprin y évolue de la petite délinquance à la folie meurtrière, en passant par les groupuscules d’extrême-gauche. Dans la violence de ses actes, le lecteur diligent devra reconnaître les effets de l’organisation sociale : l’auteur, dont le style behavioriste -ce « calme désespoir de la raison », comme il le dit ailleurs- doit autant à Flaubert qu’à Hammett, ne commente ni ne développe une narration qui « doit être brève, car c’est ainsi seulement qu’elle aura une forme excellente ». Trop excellente, peut-être. L’étude du cas Coprin, d’une sécheresse tant maîtrisée, fait parfois songer à un mécanisme où un peu de jeu serait le bienvenu.
La pièce qui donne son titre au volume raconte quant à elle l’ascension dérisoire de Nada, groupe de rock issu de la « zone » : « the french barrios’n faubourgs’n bidonville’n lumpenproletariat (…) a cri, a hurlement from the tripes of the déclassés », comme aime à les présenter leur manager, qui ne pouvait prévoir les beaux jours du terme de « banlieue ». Manchette, sous influence situationniste, prend ici en ligne de mire la Société du Spectacle : c’est donc l’histoire d’une récupération, et au-delà, la satire de toute la culture « moderniste » et de ses provocations de salon.
En s’essayant aux tréteaux, Manchette a d’ailleurs tendance à alourdir son message et à multiplier les références. L’on pourrait juger que ce reader’s digest de la lutte des classes sent un peu son théâtre politique d’un autre âge, si un doute ne subsistait. Où veut-il en venir, l’auteur qui parodie Bossuet comme Marx, et déclare en note se tenir « ouvertement dans la rigolade » ? « Ma pauvre enfant, ma sœur, j’ai tout vu, songe à la douceur d’aller là-bas porter plainte » s’exclame un personnage de la pièce… Il y a bien là le goût du canular ; mais une ultime précision donne tout le sel de cet humour hénaurme : si les répliques semblent « s’appuyer sans cesse sur des citations », c’est qu’elles doivent « nager sans arrêt dans la langue de bois culturelle moderne ».
« Il faut se représenter ce que pourraient être des textes publiés sous la signature de Jacques Attali ou Jack Lang -quant à Jacques Attali, il en existe d’ailleurs plusieurs- en même temps qu’on déciderait de négliger totalement le fait, évident, que ces gens ne savent ni lire ni écrire », ajoute Manchette : c’est encore dans ses coups de pattes racés qu’il est le plus séduisant.
Cache ta joie ! et autres textes
Jean-Patrick Manchette
Rivages/Ecrits Noirs
230 pages, 110 FF
Domaine français Coup de ma(n)chette
août 1999 | Le Matricule des Anges n°27
| par
Gilles Magniont
Manchette posthume, suite et fin : les éditions Rivages publient ses derniers inédits. Souvent dispensables, parfois jubilatoires.
Un livre
Coup de ma(n)chette
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°27
, août 1999.