Lorsqu’on demande à Marcel Moreau de nous montrer sa bibliothèque, il est étonné, puis un peu gêné. Car, ici, chez lui, les livres traînent un peu
partout, et Moreau avoue vite qu’il ne lit que peu de contemporains, qu’il
ne fait souvent que tâter le pouls de certains, donnant davantage son avis
sur des manuscrits lorsqu’on le lui demande. Dans tous les cas, c’est
l’écriture qui trône haut. La lecture a eu lieu, par les grands auteurs,
les classiques comme on dit. Et Moreau y revient quand il veut. C’est sa
seule tribu, en dehors de quelques compagnons en lesquels il reconnaît sa confrérie : Claude Louis-Combet, par exemple, que son éditeur Michel Camus (Lettres Vives) lui a fait découvrir. En dehors d’un meuble étagé où sont rangés, entre autres, tous les livres d’Anaïs Nin, une femme avec laquelle il eut une correspondance importante, quelques livres de Bataille (Moreau avoue qu’ils comptèrent finalement assez peu dans sa vie), Cioran dont le pessimisme actif plut un temps à l’auteur (« ma correspondance avec lui est anecdotique et sans grand intérêt » confie-t-il), on remarque presque toute l’œuvre de Genet : seul un « oui, ah, oui, Genet » suffit à dire toute la profonde admiration que Moreau lui porte.
La seule bibliothèque quittée, il
faut ensuite passer devant la table de travail de l’auteur, qui est aussi
la table du manger, pour remarquer derrière elle un tas de livres
nonchalamment déposés à même le sol : quatre volumes de la seconde édition
du XVIIIe siècle du dictionnaire Furetière (« une mine incroyable de
richesses »), une monographie sur le peintre Saura, Antigone d’Henri
Bauchau, en ressortent, visibles, parmi ceux que Moreau évoque, Michaux,
Céline, Cendrars. La dernière étape, c’est la chambre. A côté du lit, il
faut appeler cela un empilement : impossible de prendre un volume du bas
sans risquer un effondrement massif. C’est pourquoi la collection de la
revue de Topor Le Fou parle, à laquelle Moreau collabora activement, sert
de pilier, que Nietzsche est en haut, dans des éditions anciennes aux
tranches cassées, aux couvertures souvent déchirées, en compagnie de Kafka
et Dostoïevski (une vraie bombe pour lui), eux aussi sous la main, veillant
peut-être sur le tas de brouillons manuscrits de Moreau qui leur fait
face…
Dossier
Marcel Moreau
Généalogie d’un empilement
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Emmanuel Laugier
Un auteur