Parfois, la première ligne d’un roman est à elle seule un condensé de ce qui va suivre. Première phrase manifeste destinée à clairement situer l’auteur et son écrit, à provoquer d’entrée une rupture même si cela peut aussi être l’illustration d’un bon marketing littéraire. « Je me suis réveillé en déchargeant ». Telle est la première phrase de Blanche est la couleur des rêves de Jean-Pierre Andrevon. D’autres souffreteux se sont longtemps couchés de bonne heure, le héros d’Andrevon se réveille lui le slip poisseux. Ce narrateur habite un fort Alamo des alpages. Vaguement journaliste et auteur d’ouvrages scientifiques, sa vie est en train de lui filer entre les doigts. Sa famille l’a quitté, ses livres ne se vendent plus, la maladie le rattrape et par-dessus tout, la mafia veut récupérer une valise qu’une féminine de passage lui a confiée. Sa décision est prise : il va devenir un nettoyeur qui attend l’ennemi dans son camp retranché pour finir en apothéose. Un grand feu d’artifice avant de disparaître.
Comme l’indique la première phrase, il s’agit donc d’un polar contemporain qui va tout faire pour sonner contemporain. Comme une bonne recette. C’est-à-dire : parler cul, branlette et chatte (liste de synonymes page 148) ; étaler les pensées profondes et désabusées sur l’époque ; faire gicler le sang à coups de hache ; privilégier le style oral.
On a l’étrange impression de lire la description d’une réalité toujours unique et identique, comme un morceau de ferraille que l’on repeindrait sans cesse de la même couleur. La posture du narrateur, la quarantaine revenue de tout à qui on ne la fait pas, lasse à force d’avoir été utilisée. Tous ces clichés court-circuitent la tension et neutralisent par excès toute volonté provocatrice, au bon sens du terme. L’histoire d’Andrevon, plus connu pour ses écrits de SF, a pourtant tout ce qu’il faut pour faire un bon policier mais elle devient un scénario desservi par le style. Et il faut attendre longtemps avant que le récit ne bascule dans une action pure très efficace. Une période qui commence par une phrase : « Ce matin, je ne me suis pas réveillé en déchargeant. » On ne peut s’empêcher d’y voir un signe. La rétention spermatique du narrateur a manifestement profité au style d’Andrevon.
Blanche est la couleur des rêves
Jean-Pierre Andrevon
Canaille/Revolver Baleine
232 pages, 49 FF
Poches Les décharges d’Andrevon
janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22
| par
Christophe Dabitch
Un livre
Les décharges d’Andrevon
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°22
, janvier 1998.