Rédacteur en chef adjoint du magazine Art press et co-fondateur (encore !) de la Revue perpendiculaire, Jean-Yves Jouannais développe un goût prononcé pour les oeuvres qui, dans une époque et une société données, se signalent, non par leur originalité mais par la négation d’elles-mêmes qu’elles annoncent. Comme une volonté de s’affirmer n’étant pas au monde… L’essai qu’il donne aujourd’hui s’attache donc à suivre ces écrivains, ces artistes sans oeuvres. Canular ? Non. « Ce qu’il est donné à voir de la culture d’une époque est déjà le résultat d’une sélection, élitiste, cultivée, bien pensante, parmi les oeuvres ayant eu accès à une certaine visibilité. (…) Que dire alors des oeuvres non produites, lesquelles, en nombre infini, recèlent pourtant véritablement, en termes statistiques, la seule vérité sur l’histoire des mentalités ? » C’est ce à quoi l’auteur va s’essayer. Disons tout de suite que le livre repose sur une contradiction : si les « non-oeuvres » sont infinies, Jouannais va convoquer dans son ouvrage quelques artistes nommés, identifiables : une façon, là encore, de faire « une sélection élitiste ».
Mais cette contradiction est une qualité pour le lecteur : on échappe ainsi à un texte de théorisation pour entrer dans un salon où le maître de cérémonie (l’auteur) nous présente ses invités.Les premiers à s’avancer sont les écrivains, Jacques Vaché (1895-1919) en tête. Voilà un jeune homme qui a fait la guerre, or « La faire, la guerre, suppose une activité a priori exclusive. Les loisirs s’y voient limités aux techniques de la survie. » Le seul lieu d’écriture sera dons la correspondance et celle-ci, adressée à André Breton, fera que ce dernier consacrera quatre essais aux Lettres de guerre. Jean-Yves Jouannais ainsi présentera également le poète de l’écoute, Armand Robin, l’incroyable Félix Fénéon, mais Barthes aussi des artistes comme ce copieur de Gilles Barbier. Il en profite également pour nous faire visiter sa maison Perpendiculaire. Le tout avec un ton d’une joyeuse intelligence où pointe parfois l’ironie. Avec des livres comme celui-ci, il est à craindre que Jouannais finisse par construire une oeuvre.
Jean-Yves JouannaisArtistes sans oeuvres
Hazan156 pages, 95 FF
Essais Rien à signaler
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Thierry Guichard
Un livre
Rien à signaler
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.