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Domaine étranger Les années vaines

juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20 | par Eric Naulleau

Deux témoignages essentiels sur les premières années du pouvoir bolchevique paraissent simultanément. Souvenirs d’un bref âge d’or littéraire par Varlam Chalamov et Korneï Tchoukovski.

Les Années vingt

Ce fut en 1962, à la demande d’un éditeur, que Varlam Chalamov entreprit de rassembler ses souvenirs sur les années 20. Si toutes ces pages semblent participer d’une effervescence et d’un enthousiasme post-révolutionnaires pourtant depuis longtemps révolus, il faut préciser que l’auteur venait de passer près d’un quart de siècle en hibernation dans les confins du goulag sibérien, expérience dont il fit la matière du chef-d’oeuvre de la littérature concentrationnaire : Les Récits de Kolyma. Le rôle du Prince charmant échut à Kroutchev, inspirateur d’un bref dégel idéologique, et l’enfant de Vologda se réveilla avec une foi intacte dans les idéaux de sa jeunesse : « les luttes sociales » et « la littérature », double préoccupation ainsi exprimée : « Toute ma vie s’est résumée à honorer deux divinités, celle du devoir et celle de la prophétie. »
La seconde moitié du livre -qui donne son titre à l’ensemble- vaut essentiellement pour une précieuse nomenclature des personnalités et des mouvements littéraires du moment, mais Chalamov parvient si habilement dans la première partie à mêler éléments autobiographiques et aperçus sur l’atmosphère survoltée qui régnait alors dans « Moscou en pleine ébullition » que certains passages soutiennent la comparaison avec les meilleures pages de ses oeuvres maîtresses comme La Quatrième Vologda. Les idées révolutionnaires évoquent ici une matière en fusion dont aucun moule n’aurait encore déterminé la forme définitive, dans la mesure où les débats en cours portaient aussi bien sur la place de l’intelligentsia dans le nouvel ordre soviétique… que sur la question de savoir si les femmes pouvaient continuer à se parfumer. La chiourme stalinienne se chargea en plusieurs temps de tarir « cette vague de liberté qui saoula d’oxygène l’année dix-sept » mais Chalamov ressemble à ces pins du Grand Nord qui ne s’enterrent sous la neige Que pour mieux se redresser au moindre signe de réchauffement. Un séjour de vingt-deux ans dans le dernier cercle de l’enfer terrestre s’avéra insuffisant pour briser cet homme d’exception ou émousser une plume qu’il maniait redoutablement, ainsi qu’en atteste ce jugement sur Romain Rolland, l’un de ces intellectuels occidentaux pro-soviétiques que Lénine désignait sous le terme générique d’ « imbéciles utiles » : « En somme, pour nous, tout ce qu’il y avait de pire à l’époque dans la littérature et l’intelligentsia de l’Occident était incarné par Romain Rolland. (…) En lisant récemment une biographie d’Apollinaire, j’ai été ravi d’apprendre que celui-ci aurait divorcé parce que sa femme, dans une lettre, avait fait l’éloge de Romain Rolland. Je comprends parfaitement Apollinaire. Et je lui serre la main. » Célébrissime auteur pour enfants dans son pays, critique et traducteur réputé, familier, entre autres, de Gorki, Maïakovski, Chlovski, Zamiatine, Akmatova et Blok, Korneï Tchoukovski demeure pourtant à peu près inconnu en France*. Dans cette perspective, la traduction du premier volume de son Journal constitue à la fois l’opportunité de faire connaissance avec une personnalité très attachante, de découvrir maints aspects méconnus de certains des contemporains capitaux déjà cités et de revivre au jour le jour la naissance, l’enfance puis l’âge ingrat d’un pays appelé jadis Union soviétique.À mesure que l’on avance dans la lecture de cet ouvrage -qui se dévore comme un roman d’aventures, une certitude s’impose : Korneï Tchoukovski devait avoir de l’encre à la place du sang. En dépit d’une santé fragile, compliquée par un soupçon d’hypocondrie, et d’incessantes difficultés matérielles, ses livres pour la jeunesse alternent avec des essais et des traductions, les conférences succèdent aux articles critiques. À ce dernier sujet, l’auteur du Crocodile se déleste bien vite des afféteries stylistiques et d’une certaine mièvrerie juvénile pour se révéler un exégète de première force, si l’on en juge notamment par cette appréciation émise vers 1908 : « Je lis Berdiaev. Il a une particularité : sa page 12 est toujours ennuyeuse et morne. C’est mauvais signe. car tout le monde peut écrire dix pages, mais la onzième et la douzième sont les plus dures. » Pour d’évidentes raisons de sécurité, Tchoukovski s’abstient autant que possible de tout jugement politique, voire même de toute référence directe à l’actualité. Plusieurs passages possèdent cependant une inestimable valeur historique, à commencer par la veillée funèbre du marin dont l’assassinat provoqua l’insurrection du Potemkine ou cette réflexion sur Gorki qui jette une lumière crue sur les rapports complexes que ce dernier entretenait avec les nouveaux maîtres du Kremlin, dont il était pourtant officiellement l’enfant chéri : « Il dit toujours ils à propos des bolcheviks. Il n’a pas dit une seule fois nous. Il en parle toujours comme s’il s’agissait d’ennemis. » De même, une confidence du 21 janvier 1928 permet de dater avec précision l’instant où le bras de fer entre écrivains et idéologues tourna définitivement à l’avantages des seconds : « Finalement, ils n’interdisent pas beaucoup de livres (…) pour la bonne raison que nous nous sommes laissés pervertir, que nous nous sommes adaptés et que nous n’arrivons pas à écrire quoi que ce soit de spontané et de sincère. »
Au gré de cet extraordinaire herbier littéraire, patchwork de portraits sans concessions, de choses vues, de croquis sur le vif, de mots d’enfant, de citations ou d’histoires juives de Maïakovski, sans oublier les comptes-rendus des démêlés ubuesques de notre écrivain avec la censure (mention spéciale au caviardeur qui, dans un conte de Tchoukovski, jugea « antirévolutionnaire » le comportement d’un poussin se réfugiant sous l’aile de sa mère), certains fragments textuels brillent d’un éclat singulier. L’on pense notamment à la visite que Tchoukovski se décide enfin à rendre à une actrice, pour apprendre qu’elle s’est défenestrée trois jours auparavant ou à cette lettre adressée à Gorki en 1919 : « Cher écrivain, n’y aura-t-il pas une amnistie à l’occasion de l’éminente commémoration de vos cinquante ans ? Je suis en prison parce que j’ai tué ma femme -quatre jours après notre mariage ; je venais de découvrir que j’étais impuissant, je n’avais pas pu lui ravir sa virginité. Ne pourrait-on pas décréter une amnistie ? »

Éric Naulleau

* À signaler cependant un essai paru en français : Les Futuristes (L’Âge d’Homme)

Les Années 20
Varlam Chalamov
Traduit du russe par Christiane Loré et Nathalie Pighetti-Harrison
Verdier, 192 pages, 98 FF

Journal 1901-1929
Korneï Tchoukovski
Traduit du russe par Marc Weinstein
Fayard, 600 pages, 198 FF

Les années vaines Par Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°20 , juillet 1997.
LMDA PDF n°20
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