Au village de Saint-Phy, on n’a jamais accepté ces étrangers, si lointains, qui vivent comme cloisonnés, là-haut, à l’Habituée. Une maison accrochée à la falaise et battue par les vents où le colonel, sa femme et leurs trois filles, venus des Ardennes, se sont installés à la fin des années 20.
Seule la narratrice aura été le témoin bienveillant des dernières années de leur vie, devinant les irrémédiables blessures de la guerre et les lourds secrets dans le silence de l’austère demeure, prêtant une oreille attentive aux récits de la vieille bonne, Adrienne, qui « continuera à raconter, à parler d’elles qui vivaient encore comme si elles avaient été mortes ».
Le roman qui s’ouvre sur un deuil et se referme sur un autre, ne parle au fond que de cela. Et avant tout du deuil que chacune des filles a fait de sa propre vie. De cette peur de la vie qui conduit au renoncement comme une mort à petit feu.
Dans ce lent ballet d’ombres, Mathilde, exilée après avoir donné naissance à l’enfant du scandale, Gabrielle, revenue après avoir passé dix ans aux côté d’un mari souffrant et Constance, recluse sur son palier à l’écriture de ses carnets, ne forment finalement qu’une seule et même figure de la résignation.
Trois faces d’une même femme à laquelle on serait tenté de prêter le nom de cette maison, à la fois refuge et prison, qui donne son titre à ce premier roman.
La patience avec laquelle Michèle Desbordes renoue un à un les fils de la trame, la longue torpeur des phrases, la densité des parenthèses, l’absence totale de dialogue et la douceur âcre des mots disent au plus juste le lent poison des désirs inassouvis. Et la terrible attente de rien.
L’Habituée
Michèle Desbordes
Verdier
189 pages, 95 FF
Domaine français La lente agonie des jours
mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19
| par
Maïa Bouteillet
Un livre
La lente agonie des jours
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°19
, mars 1997.