La pensée de Guy Debord, l’un des fondateurs du situationnisme, devient aujourd’hui l’objet d’études mais on ne peut que se féliciter que ces études ne soient pas de celles qui conçoivent l’histoire de la pensée comme une promenade dans un cimetière. Quand Guy Debord devient sous le nom de Guy Bordeux un personnage romanesque, on se réjouit que ce soit dans un roman policier.
Le cadre du roman policier permet d’éviter les ornières du roman biographique et nous épargne la construction d’un Guy Debord d’opérette en donnant tout simplement au personnage de Guy Bordeux la place du… mort.
Blocus solus avance en effet l’hypothèse (romanesque) que Guy Bordeux ne se serait pas suicidé mais qu’on l’aurait suicidé pour l’empêcher de publier son dernier manuscrit « Instructions pour un blocus continental ». L’Internationale situationniste a plusieurs fois croisé le crime. Côté réalité : le premier éditeur de Debord, Gérard Lebovici a bien été assassiné en 1984. Côté imaginaire : un coup d’œil à le revue La Bibliothèque des émeutes, permet de voir la fascination que la figure de Mesrine a pu exercer sur certains situationnistes.
Delcour imagine que dans un dernier manuscrit, Bordeux a révélé comment vers 1976 une action a été menée aux Açores par l’Opus dei et la CIA pour éviter que l’archipel ne devienne un second Cuba. Devenu gênant, Bordeux est tué et la chasse au manuscrit compromettant commence. L’enquête menée par François Delprat, ex-barbouze reconverti dans une activité floue de conseil juridique est d’abord mue par la nécessité (professionnelle) de découvrir la vérité de l’affaire Bordeux puis assez rapidement par la volonté (personnelle) de rendre justice à Bordeux lui-même. Le roman tourne vite à la curée.
Le souci de Delcour dans ce cinquième roman avec lequel il entre en Série noire, n’est pas la construction mais l’invention de personnages. C’est sa façon de renouer avec le néo-polar. Son style ne le situe pas du côté d’un Manchette (à qui le roman est dédié) mais plus sûrement du côté d’un Fajardie. On peut parfois lui reprocher un usage un peu lourd du calembour dans la première partie du roman -peut-être une mauvaise habitude prise avec le Poulpe dont Delcour a écrit l’une des aventures (Les Sectes mercenaires, 1996)- mais Blocus solus est malgré la facilité avec laquelle on y meurt un roman vif et vivant.
Blocus solus
Bertrand Delcour
Série noire, Gallimard
284 pages, 41,50 FF
Domaine français L’assassinat de Guy Debord
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Christophe David
Un livre
L’assassinat de Guy Debord
Par
Christophe David
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.