Pour en finir avec la solitude, la fatigue et l’ennui, avec la haine des dimanches qui n’en finissent pas et son incapacité maladive à achever quoi que ce soit, Emmanuel, jeune étudiant, décide de mettre un terme à son existence. Mettre fin est le récit des derniers jours de cette « non-vie » avant le suicide, ultime énergie du désespoir.
Mais aussi -et là réside l’originalité du roman- de la vie qui continue pour les voisins, les amis, les parents avec le souvenir de celui qui n’est plus et qui pourtant n’a jamais été aussi présent. Il aura fallu ce geste pour ne plus être seul ! Mourir pour mieux renaître en eux : « Il se disait qu’il mourrait le dimanche et ressusciterait le lundi. » La savante construction de ce livre en trois parties de plus en plus réduites, dont la première qui fonctionne comme un ralenti, nous fait mesurer combien chaque minute pèse quand la vie n’a plus de sens.
On retrouve dans ce premier roman d’un tout jeune auteur (22 ans) le malaise d’une génération, celle des enfants nés dans les années 70, qui souffre aujourd’hui d’une extrême solitude et qui l’exprime à froid, sans complaisance par romans et films interposés. Pas d’épanchement non plus chez Franck Bijou, pas d’introspection. La narration à la troisième personne que sert un style à la fois sobre et implacable ne laisse à aucun moment place à l’identification. Au contraire, c’est avec les yeux de spectateurs impuissants que nous regardons évoluer le personnage vers sa fin inexorable.
Lui-même regarde son corps comme quelque chose d’indépendant, d’étranger, un corps sans âme : « Il touche les mèches de ses cheveux, il touche son front, son nez, ses joues. Son doigt fait frémir les lèvres. Il touche son menton, son cou. Il touche ses épaules, laisse sa paume rencontrer sa peau. Mais il ne sent rien. »
Franck Bijou renouvelle ici, par sa sobriété, sa concision, sa froideur presque clinique le vieux thème du suicide. Cette écriture est celle d’un jeune auteur manifestement nourri de cinéma (il est lui-même réalisateur de courts métrages).
Une écriture très souvent juste, précise, percutante. Mais si minimaliste parfois qu’il nous semble lire le synopsis d’un livre à venir.
Hortense Lepic
Mettre fin
Franck Bijou
Le Passeur
123 pages, 72 FF
Domaine français dernier jour d’un suicide
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Hortense Lepic
Un livre
dernier jour d’un suicide
Par
Hortense Lepic
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.