Sa figure était celle d’un Méphisto rouge ardent, il avait un rire sarcastique et beaucoup d’esprit. Cela faisait contraste avec l’air grave de Baudelaire et la grosse figure réjouie de Babou.« Sous les mots colorés de Lemercier de Neuville se cache un personnage important de la République des Lettres : Auguste Poulet-Malassis. Affublé d’un patronyme qui offrait à son auteur et ami Baudelaire l’occasion d’un »Coco mal perché", il devint le plus grand éditeur du xixe siècle en publiant ceux qui faisaient la modernité : Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Asselineau, Fromentin, Monselet, Théodore de Banville, Champfleury et Baudelaire. Une biographie que lui consacre Claude Pichois et son complément érudit, le catalogue de ses livres concocté avec soin par un libraire-bibliographe Gérard Oberlé1 nous offrent un point de vue détaillé sur ce moment majeur de l’édition littéraire.
Issu d’une lignée d’imprimeurs à la fois officiels et frondeurs, Poulet-Malassis (1825-1878) présentait un caractère rétif vis-à-vis du pouvoir et un goût d’artiste pour la chose imprimée. Toutes choses dont on déduira ses chances de succès. De fait, son activité éditoriale s’est maintenue peu de temps : entre 1855, date de la reprise à son nom de la maison familiale et 1862 où il met les clefs sous la porte.
Républicain engagé dès 1848, Malassis s’est trouvé en butte à la censure plus souvent qu’à son tour pour des publications hasardeuses -des ouvrages politiques mais aussi les Fleurs du mal en 1857- et à des échéances financières délicates qui lui vaudront procès et peines infamantes. Pour fuir ses persécutions, il s’expatrie entre 1862 et 1869 à Bruxelles et l’on sait grâce à un autre bibliographe, René Fayt (Poulet-Malassis à Bruxelles, Les libraires momentanément réunis, 1993), ce qu’y fut son existence. Haut-lieu de l’édition pirate, il y vit de petits travaux de plume et de publications officieuses qu’il fait diffuser sous le manteau en France, dans l’amitié de Baudelaire et de Félicien-Rops.
Témoin de la mutation industrielle de l’édition littéraire que mène à grand train Michel Lévy, Malassis est resté sur la touche pour avoir privilégié une production artisanale : « Il vaut mieux des livres qui ne se vendent pas que des auteurs qui se vendent » disait-il. Son labeur devait rester impécunieux mais pour les amateurs de beaux livres il reste « l’arbitre des élégances typographiques ».
1 Un Imprimeur sur le Parnasse Gérard Oberlé Librairie du Manoir de Pron (58 340 Montigny-sur-Canne) 466 pages, 350 FF
Éric Dussert
Auguste Poulet-Malassis
de Claude Pichois
Fayard
286 pages, 165 FF
Histoire littéraire Sur une malle assis
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Éric Dussert
Un livre
Sur une malle assis
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.