L’argument d’Autoportrait avec femme -un Polonais (presque) moyen est invité par la radio genevoise à raconter son existence- équivaut de manière transparente à une double question d’actualité : que veulent et que peuvent encore nous dire les écrivains d’Europe de l’Est cinq années après la chute du Mur de Berlin ? Le personnage principal donne lui-même la première réponse : « Je vous dis que c’est uniquement l’amour qui vaut quelque chose dans la vie, ne me demandez pas de vous parler du communisme ou des geôles nazies » et choisit en toute logique d’évoquer exclusivement ses relations avec les femmes. Quant à la seconde, il revient bien entendu au lecteur de la trouver entre les lignes du présent roman… et les choses ne tardent alors guère à se gâter.
Passe encore que la subtilité de l’enchaînement des diverses relations amoureuses rappelle celle d’une fanfare entre deux numéros de cirque. Mais il faut en outre essuyer un déluge d’aphorismes mièvres : « Aujourd’hui les femmes sont tout simplement ordinaires et, pis encore, elles se ressemblent toutes », quand l’auteur ne s’efforce pas de fracturer à l’aide de son stylo bille des portes pourtant grandes ouvertes : « C’est alors que je suis arrivé à la conclusion que le hasard a un rôle déterminant dans l’amour ».
L’idylle annoncée entre le mémorialiste et la journaliste chargée de recueillir ses confidences a depuis longtemps sombré dans l’indifférence générale, lorsque André Szczypiorski se décide à inclure un beau et terrible passage sur la captivité du narrateur en camp de concentration. Hélas, cet épisode remet par la même occasion en mémoire l’abasourdissante synthèse tentée quelques pages plus tôt entre les deux thèmes principaux du récit -l’amour et la violence idéologique : « Dans chaque appartement douillet où habitent deux personnes, on peut arriver à l’atmosphère de la chambre à gaz ». Nul doute que les survivants de l’Holocauste méditeront avec profit ce point de vue original lors d’une prochaine scène de ménage.
Il émane d’Autoportrait avec femme un entêtant parfum d’insincérité.
Autoportrait avec femme Andrzej Szczypiorski
Traduit du polonais par Katarzyna Skansberg
Liana Levi
240 pages, 130 FF
Domaine étranger Genève moi non plus
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Eric Naulleau
Un livre
Genève moi non plus
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.