Le Parloir
La scène aurait pu se passer dans Le Parloir, le dernier livre de Pierre Dumayet. Celui-ci était interviewé en fin d’après-midi. Il écoutait attentivement les questions, auxquelles il répondait, l’œil goguenard, en évoquant un peu Charles Martel, parfois Jeanne d’Arc, ou même la perversité des Anges. Il se souvenait de sa première publication en 1946, dans une revue dirigée par Queneau, Tardieu et Lescure, Message, et plus particulièrement de ce court texte : « La forme même des pyramides n’est-elle pas là pour nous prouver qu’en Egypte comme ailleurs les ouvriers travaillent de moins en moins ? » Il s’amusait bien, le questionneur aussi. Et, au bout du compte, il abordait ce qui lui importe. Comme dans Le Parloir. Un très drôle de livre dont le vrai sujet peut en cacher un autre : l’amitié, le soliloque intérieur qui ne cesse jamais et qui s’empare à nouveau de vous chaque fois que vous vous taisez, l’écriture même.
Vous avez publié votre premier livre en 1967, puis treize ans ont passé avant La Tête (Grasset), et depuis Brossard et moi en 1989 vous publiez plus régulièrement. Ne ressentez-vous pas la nécessité impérieuse d’écrire ?
J’ai toujours un peu écrit. Mais la télévision et les nombreuses lectures ont exigé du temps. Quant à la nécessité impérieuse, je n’y crois pas follement. Je crois à l’élan, à l’entrain, à une certaine faim d’écrire. Mais la nécessité, ça me paraît être un grand mot. En principe, on ne doit pas dire cela.
Ça dédramatise un peu.
Il y a des cas où écrire est forcément dramatique : Artaud, Lautréamont ou Rimbaud. Mais je ne crois pas que Proust ait éprouvé la nécessité d’écrire. Il y a peut-être quelque chose de plus important que la nécessité : l’envie de faire une peinture avec des mots, une architecture, c’est-à-dire quelque chose d’un autre genre, donc impossible. Si on se dit : « Les Joueurs de cartes de Cézanne est ce qu’il y a de plus beau. Comment rendre ce tableau avec des mots ? » Cela correspond moins à une nécessité qu’à une envie ou à une espèce de juvénilité abusive.
Cézanne vous donne envie d’écrire ?
Oui. Il y a aussi des phrases de Proust qui sont stimulantes. Quand il décrit La Raie de Chardin, il écrit : « Un chat vivant marche sur des huîtres. » Il a écrit « vivant » parce que derrière il y a : « Une raie morte pend au mur ». Mais peut-être a-t-il mis « morte » après avoir écrit « vivant ». Il pouvait mettre aussi : « Un chat marche sur des huîtres », « une raie pend au mur ». La précision assez inutile du chat « vivant » ou de la raie « morte » m’intéresse beaucoup.
Sur Le Parloir ne figure pas la mention « roman », comme sur Brossard et moi. Pourquoi ?
Je n’avais pas remarqué. Ce ne sont pas des romans alors. C’est emmerdant (rires). Parmi les choses qui m’agacent, il y a les livres qui sont faits pour être crus. Un livre est surtout fait pour être lu. Je n’aime pas la volonté de préhension comprise dans le mot...