Le sang, le pus, les excréments, les coups de sonnette des malades et la mort qui rôde, c’est l’hôpital au quotidien qui est ici décrit à travers le regard d’un aide soignant dont il constitue en quelque sorte le monde. Il s’avère bien vite que dans ce Jardin, où nous passons si rapidement de naissance à trépas, peut malgré tout survenir, et lui aussi mourir, ce qu’avec une irresponsabilité collective dans l’emploi des mots nous appelons « l’amour ».
En effet, le personnage principal de ce roman -nommé Dieu sait pourquoi Boby Need (en supposant que le sens anglais de « need » ne serve pas ici à une allusion assez lourde)- rencontre cet amour, fortuitement éclos telle une magnifique bulle de savon, en la personne d’Arielle Vital, patiente overdosée, puis ex-patiente sentant la pomme, charmante et diaphane. D’où s’ensuivent plusieurs accouplements qui, malgré l’art élégant du narrateur, dégagent vite une odeur de chambre mal aérée et d’épanouissement simpliste.
Tout au long de ce roman, qui a pour argument le passage d’un état de solitude au même état de solitude après un instant éclairé par un espoir de fusion sentimentale, nous suivons avec sympathie chacun des personnages. Mais, chose curieuse, aucun de ces êtres ne semble apte à réfléchir, comme si l’esprit relevait d’une dimension qui a tout simplement disparu par les temps qui courent. Ce parti pris béhavioriste appauvrit quelque peu le livre en réduisant notre intérêt à celui qu’on pourrait porter à une histoire d’animaux. Et, finalement, entraîné par des phrases lisses qui semblent filer au ras du vécu et ne sollicitent jamais la pensée, le lecteur glisse sur cette prose sans surprise puis, parvenu à la dernière ligne, ne conserve qu’une vague impression de misère. Misère des corps malades, misère de l’amour, et, il faut bien le dire, misère aussi de la littérature. Car si l’auteur ne manque pas de talent, il le retient dans la sphère d’une modernité assez convenue.
Notre jardin
Philippe Michard
P.O.L.
122 pages, 75 FF
Domaine français Le blues de l’aide soignant
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Christian Molinier
Un livre
Le blues de l’aide soignant
Par
Christian Molinier
Le Matricule des Anges n°12
, juin 1995.