Un livre

Un homme regarde une femme

de Paul Fournel

Voici un roman qui eût pu n’être tiré qu’à un seul exemplaire. Un Homme regarde une femme ressemble à s’y méprendre à une déclaration d’amour, à un cadeau que l’on fait, adulte, comme on en fit, enfant, au moment de la fête des mères. C’est du cousu main, du fait maison, ça sort des tripes d’un homme et c’est offert à la plus belle des femmes, la compagne, l’amante. Mais ce serait considérer le narrateur et l’auteur comme une seule et même personne, ce serait omettre dans le titre du livre le redoublement de l’article indéfini : « un » homme et « une » femme, voilà qui arrache le roman à l’intimité pour l’offrir comme modèle universel aux autres, à ces lecteurs anonymes qui trouveront dans le « tu » une voix qui leur parle ou, mieux, une voix qui parle pour eux. Un Homme regarde une femme est composé d’environ 130 textes très courts qui peignent le portrait de la compagne du narrateur, angoissée plus que de raison, belle plus que de coutume et dont il est facile, le livre achevé, de tomber amoureux à notre tour. Lui, ne s’adresse pas à elle bien qu’il écrive « tu ». Il se parle, il se projette toutes ces images d’elle. Tendre et ironique, dur parfois, il frôle de ses mots les espaces interdits, les zones sensibles de l’angoisse où la beauté et la jeunesse s’apprêtent à quitter le présent pour rejoindre le passé. Tout est dans le regard. Celui des metteurs en scène qu’il faut séduire pour jouer, celui du narrateur qui sait voir au-delà des gestes, celui de la comédienne, narcissique et cruel, qui fouille dans le miroir les traces d’une vieillesse pourtant encore lointaine.
Paul Fournel est un écrivain malin. Il est difficile de ne pas tomber dans ses pièges. Virtuose dans l’art de manier la rupture avec, en fin de chapitre, une phrase qui clôt le texte en en élargissant la portée, il évite les écueils d’un sentimentalisme à la guimauve.
Reste, au bout du compte, un charme léger et le plaisir qu’offre un texte de joailler. Les diamants sont éternels, Paul Fournel « endiamantise » « une » femme.

Un Homme regarde une femme
Paul Fournel
Seuil
189 pages, 90 FF