Beaucoup de toiles, de dessins dans la maison. Beaucoup de livres aussi. Partout. Sur les appuis de fenêtres. Sur les tables. Au sol même. Sur les chaises. Des pages arrivées de partout. Du cœur de ceux qui cherchent un regard, un lecteur. On sent du temps donné à ces objets : certains sont encore ouverts, posés sur une enveloppe déchirée. Chaque pièce de la maison abrite une ou deux biliothèques, plus ou moins grande selon la place. Mais il faudrait dire grotte, niche, reposoir, plutôt que bibliothèque : quelques planches organisent une verticalité éphémère - les mains ont toujours le dernier mot, ce sont elles les vrais refuges.
« J’aime les livres, mais je n’arrive plus à y mettre de l’ordre. C’était plus facile il y a 20 ans. Ici, ce sont des écrits de correspondances, par exemple les lettres de Proust. Le journal de Léautaud. Et en-dessous de la littérature grecque et italienne. Il y avait une autre pile, mais comme j’ai voulu placer ce grand et magnifique tableau d’Olivier Debré, (impossible de le démonter, j’aurais eu peur de l’abîmer, et il ne passe pas par la porte d’en haut), j’ai coupé un rayonnage…(rires) »
Nous sommes dans la salle de séjour au rez de chaussée : une porte donne dans le verger, une autre sur l’entrée. Bernard Noël m’invite à le suivre à l’étage où il m’ouvrira son bureau, après m’avoir montré d’autres livres encore, dans une bibliothèque en échafaudage contre le mur d’escalier, et qui envahit tout le couloir du premier étage : c’est la poésie française paraît-il, par ordre alphabétique.
Le bureau est impressionnant de simplicité : la lumière est filtrée par un épais rideau (pour protéger les dessins). Au fond, face à une fenêtre dégorgeant de verdure - un lierre quelque chose comme ça - se dresse une table en bois dépolie, récupérée chez les chiffonniers d’Emmaüs. Une vieille lampe noire, des années cinquante, une chose incroyable, comment dire, toute coudée, articulée, un corbeau. Sur le bois rugueux, strié, usé, un cahier d’écolier ouvert, avec une petite écriture fine serrée, serrée. Il y a deux bibliothèques basses de part et d’autre, avec un peu de tout : des livres d’Art, environ 1m50 de Masson, des gravures, 1m de Rilke, Faulkner, Herman Hesse, Thomas Bernhard, Le Degré du regard (une anthologie), L’Art magique de Breton dans une édition rare : le coffret s’ouvre en deux, avec d’un côté les textes, de l’autre, les images. Le Lascaux de Bataille, de la poésie étrangère : Eliot, Cunnings, Djuna Barnes, Yeats… « Il n’y a plus de place pour les livres qui arrivent alors je les empile. Ici, je travaille, ça dépend à quoi. Je tape les textes à la machine. J’ai beaucoup travaillé sur Masson : voici deux dessins dont un que j’aime beaucoup. Exposer quelqu’un, c’est entrer dans son espace… »
Je pense que la visite va se terminer là, je m’apprête à redescendre. Quand Bernard Noël, une lueur de malice dans le regard me dit « non, non, ce n’est pas fini, on va encore monter d’un étage… » ...
Dossier
Bernard Noël
Bibliothèque : la grange de papier
avril 1994 | Le Matricule des Anges n°8
| par
Dominique Sampiero