Les tresses de Noiret
Une série de nouvelles laissées en suspens, presqu’inachevées, ainsi débute Chroniques d’inquiétude, le roman de Gérard Noiret. Les personnages sont saisis, suivis comme ça, un peu au hasard, au moment même où leur vie semble prendre un virage étonnant : le Père Vallet, qui entend d’étranges confessions, la famille Gauthier qui gagne au loto, les bribes du journal de Claude lors d’une invasion de vers, parabole de sa vie conjugale… Et puis voilà qu’un personnage rebondit d’un chapitre sur l’autre, une histoire se dessine, un drame en gestation. Pas pour longtemps, l’intrigue est soudain délaissée et une entité secondaire devient centrale, le projecteur change de course, nous voilà repartis ailleurs, dans une autre action. Petites touches réhaussant sans arrêt une drôle de narration, voilà maintenant que tout se noue. Chacun trouve sa place dans ce canevas habilement tressé, les questions rencontrent leurs réponses au détour d’une phrase, d’un paragraphe, comme par inadvertance. Ce qui était principal est relégué au second plan, ce qui était derrière passe devant. Gérard Noiret change constamment la focale, fait le point suivant une inspiration narrative complexe, sans que jamais rien ne soit obscur ou abscons. Avec presque trop de facilité, cet auteur nous entraîne dans les marges de plusieurs histoires simultanément, cerne en creux des héros de tous les jours.
Comme certaines villes américaines, ce roman situé à Bois le duc (?), n’a pas de centre, ce qui ne veut pas dire pas de cœur, au contraire, il palpite d’un bout à l’autre, jouant d’une poésie sourde du quotidien en événements d’actualité. La fin est un peu étrange, comme si, après une bifurcation, ce roman s’arrêtait brusquement, la machine cessant de fonctionner par le même mystère avec lequel elle s’était mise en route. Il s’étale sur trois années, les isolant dans un lieu somme toute banal et en en tirant la substantifique moëlle.
Chroniques d’inquiétude
Gérard Noiret
Actes Sud
153 pages, 89 FF
Domaine français Les tresses de Noiret
février 1994 | Le Matricule des Anges n°7
| par
Alex Besnainou
Un livre
Les tresses de Noiret
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°7
, février 1994.