-
Être gay en Russie
Lmda N°251 Écrit en français, Espèces dangereuses est l’évocation d’une parenthèse qui n’a pas duré : quelques années où l’on a cru que la liberté sexuelle était possible à Moscou. Il ne faut pas se mentir : ça serre le cœur de lire ce roman bourré de sincérité, qui transpire l’expérience personnelle par tous les pores, entre chaque mot. Soit un jeune homme, en Russie. Sergueï Shikalov, né en 1986, raconte ses années 2000, pendant lesquelles les gays russes ont cru à une possibilité de liberté. Hélas… Le triste dictateur, qui a annexé la Crimée en 2014 et envahi...
-
Domaine étranger Pavane pour un pays défunt En une fresque ambitieuse et savamment construite, Regina Scheer ressuscite, de la Seconde Guerre mondiale aux années 2000, la RDA et certains de ceux qui y vécurent, jusqu’à la fin. Peut-être vous est-il arrivé, à la lecture, par exemple, de Guerre et Paix ou des Frères Karamazov, de ressentir l’utilité de dresser une liste des personnages ou un arbre généalogique, pour vous y retrouver ? Regina Scheer, à la suite des 385 pages de ce roman, s’en charge pour nous : elle nous présente « Les protagonistes », soit la douzaine de personnages principaux qui s’y croisent (nous en rencontrerons d’autres, bien sûr, plus...
-
Domaine français Comme une respiration d'orage Emprisonnant présent et passé dans une relation ténébreuse, Velibor Colic écrit pour débusquer les multiples visages d’une guerre qui l’obsède. Ni tout à fait autobiographie ni tout à fait roman, Guerre et pluie relève de la littérature-vie. C’est un de ces livres qui découlent de chocs reçus et d’états d’exception qui se sont noués en noyaux d’écriture, et sont devenus la source d’un légendaire intime et infini. Un « à dire » que Velibor Colić définit en disant qu’il est du roman « vécu et imaginé dans l’impossible espace entre : je ne mens pas et je me souviens ». Enchaînement de...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
I want Ubac
Au mois de novembre dernier, un sénateur issu du centre décomplexé verse en catimini quelques grammes d’ecstasy dans la coupe de champagne d’une amie députée avec l’espoir qu’elle se mélange les chambres. La manœuvre échoue et la dame porte plainte. Afin de justifier le geste de son client, l’avocat propose une circonstance atténuante : la veille des faits, son vieux chat venait de mourir. Presque la réponse d’Agnès à Arnolphe dans L’École des femmes. Pour le même effet : hilarité générale.
Le pays n’est pas prêt à considérer le deuil des animaux de compagnie. Le chien trépasse et la...
Le Matricule des Anges n°250
un auteur
Mireille Gagné
Chronique
Traduction
Traduction
Anatole Pons-Reumaux*
Les Fils de Shifty, de Chris Offutt
Sept mille kilomètres séparent la province de Coni du comté de Rowan. Pourtant, les langhe italiennes et les Appalaches du Kentucky partagent une langue commune : le silence. De Cesare Pavese à Chris Offutt, la littérature des collines, à l’abri de la rumeur du monde, a peut-être ceci d’universel qu’elle s’écrit dans une grammaire concise à l’extrême, rétive au mot de trop. Chez les « gens des collines » – titre du premier opus de la saga Mick Hardin dont Les Fils de Shifty est la suite – on converse de préférence en se passant de mots. Mick, militaire au repos dans son pays natal, ne...
Le Matricule des Anges n°249
-
Domaine étranger Humeurs humides Un port au bord de la jungle, une sale guerre qui n’en finit pas, une jeune femme en perdition : l’écrivain colombien Antonio Ungar raconte avec talent un monde peu décrit. Elle avait une force qu’Ochoa n’avait jamais vue chez une femme instruite de la ville, et pourtant elle semblait s’en remettre corps et âme à un destin sans échappatoire, assumer à elle seule le poids d’un héroïsme qu’il avait trouvé extrêmement touchant, absolument prête à mourir de tristesse pour un passé mort et à disparaître sans laisser de traces dans l’un des coins les plus reculés de cette jungle humide et sombre. » Ochoa, surnommé El...
-
Poésie Désenvenimer l'inacceptable À travers sursauts et scissures, dissonances et tâtonnements inquiets, la poésie d’André Frénaud (1907-1993) met en scène l’expérience ontologique. Une anthologie de ses poèmes longs nous donne l’occasion de la(re)découvrir. Moins répandue que celle d’un René Char ou d’un Henri Michaux, la poésie d’André Frénaud, né à Montceau-les-Mines, en 1907, ne se livre pas d’emblée. Pudique et rigoureusement syntaxée, elle est celle d’un grand mâcheur de mots qui fait entendre une vérité d’existence sous la vérité d’écriture. Entré tard en poésie, à 34 ans, retour de captivité, avec Les Rois mages, André Frénaud a une vision tragique de l’homme. Isolé au cœur de...
-
Poches La grande manœuvre à lunettes La philosophe Simone Weil témoigne de l’usine : sa violence, ses douleurs et ses joies. Un « mystère », et un grand livre. En décembre 1934, la jeune agrégée de philo Simone Weil se fait embaucher dans une usine comme « manœuvre sur la machine ». Pour comprendre et partager les « souffrances des ouvriers ». Dans une lettre d’avril 1935 que cite dans sa préface Thomas Dommange, elle note : « Cette expérience, qui correspond par bien des côtés à ce que j’en attendais, en diffère quand même par un abîme : c’est la réalité, non plus l’imagination ». Elle...
-
Théâtre Cœurs de femmes Valentine Sergo ausculte une société qui déraille. Il y en a des cœurs qui battent dans cette histoire. Et il y a Nour pour s’en occuper. Nour est cardiologue. Enfin, interne en cardiologie. Et ce ne sera pas facile pour elle d’intégrer le service de l’hôpital puisqu’elle est maghrébine : « Nous devons respecter les quotas d’étudiants étrangers. Ce sont d’abord les étudiants en provenance d’autres pays européens qui sont retenus, puis, s’il reste de la place, les étudiants...
Égarés, oubliés
par Éric Dussert
Courant d’air
Grand reporter très respecté d’avant-guerre, Louis Roubaud a été emporté comme il a vécu : toujours ailleurs.
Louis Roubaud, grand reporter des années 1920-1940, a fait les frais d’une règle non écrite qu’applique drastiquement la postérité : ne pas mourir pendant une guerre si l’on espère atteindre à la notoriété, aussi modeste soit-elle. Et Louis Roubaud, ténor du reportage en France au même titre que Joseph Kessel, Claude Anet, Henri Béraud ou Andrée Viollis, a commis l’impair. Né le 21 août 1884 à Marseille, il est décédé le 13 octobre 1941 à 8 h 30 à Lyon. Son acte de décès précise qu’il était « célibataire, homme de lettres ». Durant l’Occupation, les esprits sont ailleurs, il ne reçoit que...
Le Matricule des Anges n°181