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Domaine français Conjurer la peur

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Christine Plantec

Ou comment un roman parvient à approcher l’une des figures les plus fascinantes du XXe siècle, l’historien de l’art Aby Warburg.

Il arrive qu’en dépit de la distance qui les sépare, deux corps soient ramenés sur un même plan d’existence. » Marie de Quatrebarbes remarque que, chaque soir, vers la fin de sa vie, Aby Warburg s’endort face à un portrait de Nietzsche qu’il a acquis. Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés mais l’un et l’autre ont fait l’épreuve de la folie et n’ont cessé, malgré l’effondrement intérieur, d’entretenir une vision vitaliste et dionysiaque du monde, quand bien même il s’agirait d’enjamber des gouffres.
Tout aussi vertigineuse est pour Marie de Quatrebarbes la tentation biographique : la vie de Warburg est fascinante, sa théorie esthétique révolutionnaire, des écrits savants précèdent le projet et l’écrasent. Comment faire pour parvenir à trouver rapport avec cette figure étourdissante et magnétique ? Echenoz confie avoir attendu plus de vingt ans pour écrire son magnifique Ravel accumulant documentation, monographies, photos avant de se lancer en 2006. L’écrivaine résoud l’équation en proposant un récit à l’image de son personnage et plus précisément à partir d’un moment de fracture créant au cœur même du récit un foyer nucléaire autour duquel tous les éléments se satellisent.
Aby est un riche héritier qui, « à treize ans, renonce à prendre les rênes de la banque familiale, en échange de quoi il fait promettre à Max (son frère cadet) qu’il lui achètera tous les livres qu’il voudra ». Pas moins de 80 000 ouvrages à la fin de sa vie ! Au sortir de la Première Guerre mondiale, un épisode psychotique le mène à la clinique suisse de Bellevue où officie le psychiatre hétérodoxe Binswanger. Cinq ans durant, Aby y est soigné et il en sort après avoir contracté avec son psychiatre un accord étrange : en gage de sa santé mentale, il s’engage à produire une conférence intitulée « Le rituel du serpent : récit d’un voyage en pays pueblo », haut plateau du Nouveau-Mexique où s’est rendu Aby en 1896. Voilà pour les points saillants de la vie de l’historien de l’art. Sauf que le récit de Marie de Quatrebarbes est tout autre.
Aby est un kaléidoscope. Le récit donne à voir des éléments biographiques sans s’arrimer à la chronologie. Bien sûr, le séjour de 1895-96 aux États-Unis occupe une place de choix, il figure au début mais comme une pierre d’attente, il ne livrera sa puissance que bien plus tard. 1914 est un détonateur : « comment continuer de qualifier, de distribuer, de raffiner et d’abstraire des idées à partir d’une matière qu’aucune hiérarchie n’ordonne plus, où les hiérarchies s’établissent sur l’absurde et consacrent des monstres ? », d’autant que Warburg se sent responsable de la situation internationale. S’ensuit une ellipse où on retrouve le personnage à la clinique de Bellevue en 1921 en proie à une terreur sans nom : phobie, paranoïa, hallucinations ponctuent son quotidien. Au contact des Indiens Hopi, « il a appris que la terreur pouvait faire l’objet d’une composition ». Ainsi sa crise, il la traverse en produisant une conférence à la clinique, le 21 avril 1923.
Chez Marie de Quatrebarbes, chaque opus élabore non pas son motif mais son régime propre comme si le sujet devait d’abord trouver sa langue et le protocole littéraire grâce auquel il pourra s’incarner. En l’espèce, Aby est une sinusoïde en écho au déplacement du serpent observé en pays pueblo, tout autant que le mouvement de la robe des nymphes botticelliennes ou de la danse serpentine de Loïe Fuller ; à l’instar du concept de « survivance » de Warburg, « processus par lequel les motifs migrent, à travers les âges, pour réapparaître » et qu’il formalisera sous la forme du Mnémosyne. La persistance du même et l’analogie comme principe dynamique et esthétique.
Lire ce roman construit comme un long poème est un bonheur de lecture tout autant qu’une manière de revivifier le narratif enfermé trop souvent dans des codes attendus.

Christine Plantec

Aby
Marie de Quatrebarbes
P.O.L, 208 pages, 17

Conjurer la peur Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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