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En grande surface Magouilles et compagnie

mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231 | par Pierre Mondot

Manifeste conspirationniste

Les éditions du Seuil publient un Manifeste conspirationniste. Quelque chose cloche. Impossible en principe d’ourdir à découvert et l’ouvrage, pour se conformer à son titre, devrait n’être accessible qu’en naviguant aux tréfonds du dark net, au moyen de liens cryptés ou de mots de passe éphémères. On le trouve pourtant en vente libre, exposé innocemment au rayon « Politique » et sa couverture noire, comme interdite, barrée de la mention « anonyme », voisine avec la perruque blonde de Valérie Pécresse. Ce qui réduit forcément le degré d’explosivité du brûlot.
À l’attention du client intrigué, la quatrième reproduit la table des matières. Ainsi réunis, les titres des chapitres semblent former une liste de onze commandements : « La guerre au virus est une guerre qui nous est menée », « Nous vaincrons parce que nous sommes plus profonds ». Le numéro sept interpelle, avec sa tautologie mystérieuse : « Le nudge est un nudge  ». On ignore ce que recouvre ce concept égal à lui-même, mais on devine que par ce manifeste, on s’initiera au moins à un conspirationnisme distingué, loin de la bouillie des bistrots où les pédophiles satanistes, les jésuites et les pangolins endossent à tour de rôle la responsabilité du déclin de l’Occident.
Conspirationniste. L’adjectif s’est chargé d’ambiguïté depuis qu’il désigne aussi bien celui qui fomente le complot que celui qui s’en pense le jouet. Ici, l’auteur revendique les deux sens. Persuadé qu’« on nous balade », il entend pour répondre aux manipulations cyniques des puissants, édifier à son tour une armée de l’ombre, capable de « se soustraire au parc humain ». Un complot contre le complot, en somme, et c’est pas lui qui a commencé. Il avertit cependant qu’il ne pourra sauver ceux « dont le parti est de ne rien prendre à cœur, de ne rien prendre au sérieux ». Aïe. Nous voilà presque tentés de rebrousser chemin.
Pour ce vengeur masqué à la solde du Seuil, la crise sanitaire fut « le coup » de trop, la goutte d’eau. Il revient, mâchoires serrées, sur les moments de folie qui émaillèrent la période. Les attestations sur l’honneur. Quand, devenus « nos propres geôliers », nous nous autorisions une sortie en jurant sur un formulaire. Les injonctions au repli lancées par les médias, relayées par les réseaux : « Restez chez vous », « Prenez soin de vous ». Le langage soudain, sens dessus dessous : « On a tous besoin de cette appli, pour ne plus en avoir besoin. » Et à Nice, sur la promenade des Anglais, des drones enjoignant aux passants de respecter « les gestes barrières ». En quelques semaines, le pays avait basculé quelque part entre les prophéties de George Orwell et les cauchemars de Philip K. Dick. Ces deux années resteront comme « la plus colossale attaque menée à ce jour contre la joie de vivre ». Le constat semble incontestable. Et conspirer – respirer ensemble au sens propre – n’a rien de coupable. L’étymologie vaut encore mieux : « Dans la liturgie du premier christianisme, la conspiratio, c’est le moment de l’osculum, le baiser sur la bouche que les fidèles s’échangent ». Si l’objectif est de rouler des pelles, alors ça change tout. Courons nous procurer des cagoules et des pains de plastic.
Malheureusement, la suite déçoit, et ennuie. Le manifeste s’efforce de démontrer que le virus (comme le réchauffement climatique) fut inventé par les gouvernants pour éteindre les révoltes populaires qui menaçaient d’embraser le monde au printemps 2020. Les Gilets jaunes, la Catalogne, Hong Kong… Il se murmure que Julien Coupat serait à l’origine du texte. Plausible. Auteur, en 2007, avec le « Comité invisible » de L’Insurrection qui vient, on comprendrait d’autant plus sa frustration. Parce que là, sans la Covid, l’insurrection allait venir, c’était sûr (et merci Vladimir, puisqu’avec la guerre en Ukraine, la date des futures émeutes se retrouve encore ajournée).
Le conspirationnisme fonctionne un peu comme la pareidolie, cette activité qui consiste à donner une forme aux nuages, à discerner le visage du Christ dans le camaïeu des moisissures, ou la carte de l’Afghanistan sur le crâne de Gorbatchev. Deux points suffisent pour tracer une ligne, et les plus infimes coïncidences permettent l’élaboration d’un scénario. Ainsi, quand Castex à l’automne annonce un nouveau cloisonnement quotidien à partir de 20 heures, Julien (bien sûr que c’est lui) n’est pas dupe : « Un 17 octobre – comme ce jour de 1961 où les Algériens qui manifestaient contre le couvre-feu les visant ont fini par centaines dans la Seine. Les dates, c’est tout ce qu’il leur souvient, aux gouvernants, de leurs années de classes préparatoires. »
Coupat a vieilli. Il y a quelques années, il s’était persuadé qu’il allait précipiter le Grand Soir en retardant des trains. Mais son amateurisme lui avait valu des déboires judiciaires, des mois d’enfermement préventif et un procès. Publier un livre noir au Seuil paraît nettement moins risqué que dénouer des caténaires. Mais pour la présidentielle à venir, pas sûr qu’il obtienne ses parrainages, et Pécresse a de bonnes chances de lui mettre un vent.


Pierre Mondot

Magouilles et compagnie Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°231 , mars 2022.
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