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Domaine français Forcenée de la liberté

janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229 | par Anthony Dufraisse

Quand une bonne à tout faire se défait de tout… Réédition d’un roman inclassable de la mystérieuse Catherine Guérard.

Renata n’importe quoi

Tout plaquer, du jour au lendemain, eh bien cette bonne à tout faire l’a fait. Elle a osé, oui, la narratrice, prendre la tangente avec quelques paquets sous le bras, quittant ses patrons de sa propre initiative. « Je me suis mise dehors moi-même », dit cette désormais ex-employée de maison qui voit cette mise à la porte volontaire comme une mise en orbite. Vers quoi ? Vers la Liberté, avec un l majuscule, cette contrée idéalisée qui lui paraît maintenant accessible, à portée de main. Ou plutôt de semelles car Catherine Guérard, auteure dont on ne sait à peu près rien et qui se serait éteinte il y a quelques années en Dordogne, fait marcher, beaucoup, ce personnage de domestique qui s’émancipe. Elle va arpenter le macadam parisien, mais pas que, au fil d’un monologue qui prend la forme du livre entier, coulé dans une unique longue phrase, sans aucun point, ponctuée seulement de virgules. Certains avaient peut-être déjà lu ce livre assez inclassable qui a paru la première fois en 1967, dans la collection « Blanche » de Gallimard. Le voilà réédité par Les éditions du Chemin de fer sous une couverture bleu ciel. Un véritable OVNI, ce petit livre, un objet vibrant non identifié, qui est une sorte de déclaration de guerre à tout ce qui pourrait entraver la liberté grande de la narratrice et surtout à tous ceux qui se mettent sur son chemin improvisé : « C’est ça qui me plaisait, de ne pas savoir où j’allais ». Cette déambulation au hasard de la capitale, qui la verra circuler à l’air libre ou souterrainement, sur les grands boulevards ou dans le métro, est, au fond, une course d’obstacles.
Car ce n’est pas le tout de se dire libre, encore faut-il le prouver aux autres, toujours prompts à vous faire la leçon et la morale. Celle qui se fera dorénavant appeler Renata comme on se choisit une nouvelle identité, en fait l’amère expérience. « C’est bien d’aller n’importe où, c’est ça la vraie vie, c’est comme une aventure, les autres gens ils ne font pas ça »  ; ce qu’ils font, les autres, c’est quand même lui ouvrir les yeux sur la condition contradictoire qui est la sienne : la femme se croit libre mais rencontre toujours plus de difficultés à l’être pleinement. Son errance sans but, ni les arbres à admirer ni les bancs publics ne suffiront à la rendre agréable. Amorcé avec le refus courageux de la contrainte, autrement dit la rupture avec le système (travailler pour gagner sa vie), le roman n’aura de cesse d’évoluer sur le registre de la contrariété sans fin. Ce qu’elle appelle « les règlements » et les « empêcheurs » l’amènent à s’interroger sur les dessous de cette liberté autoproclamée : « Est-ce que toute la vie c’est une bataille entre nous et les choses pour savoir qui commande ». Et plus elle bataille contre ce qui pourrait la brider, plus elle ferraille contre ceux qui voudraient l’entraver (« ou des méchants ou des indiscrets, les gens »), plus, dirait-on, c’est la pagaille dans sa tête.
Attachante qu’elle était au départ, forte de son verbe haut et de son côté naïvement provocateur, la narratrice se fait bientôt exaspérante et obsessionnelle, toute de fulmination et rumination mêlées. Et cette montée en tension nous vaut de la voir de plus en plus s’enferrer dans un rôle de forcenée de la liberté. Elle le veut, cet affranchissement, et elle l’aura, quitte pour cela à coucher dehors, quitte à crever de froid sous la pluie. Et le lecteur, qui d’abord applaudit au panache bravache de la narratrice, finit par questionner l’idée même de bonheur, ce qu’il en coûte de se vouloir vraiment indépendant, les limites et les logiques intrinsèques de l’autonomie, la portée de nos actes pour nous dégager de l’emprise sociale… Un authentique et complet détachement ne saurait-il aboutir, comme pour Renata, qu’à la plus solitaire des marginalités ? La déchéance volontaire est-elle le prix à payer pour en finir avec toutes les formes d’aliénation ?

Anthony Dufraisse

Renata n’importe quoi
Catherine Guérard
Les éditions du Chemin de fer, 168 pages, 18

Forcenée de la liberté Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°229 , janvier 2022.
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