Erwan Larher, le roman comme modèle
La fiction agit parfois comme un aimant. Elle lance d’abord le lecteur sur une piste qui semble parfaitement balisée. Dans Indésirable, c’est celle de Sam qui, « tombë amoureuz » d’une vieille bâtisse, décide de l’acquérir afin de la transformer en un lieu de vie et de culture. Et ce, dans un village de province où s’est cultivé depuis longtemps un entre-soi qui est à la modernité ce que la consanguinité est à la génétique. L’arrivée d’un étranger dans un bourg autocentré, c’est bon, on a saisi l’idée. Les premières pages nous confortent dans la thématique. Le début du roman, malgré tous ses signes extérieurs de fiction, semble s’être nourri soit d’une longue expérience personnelle, soit de la fréquentation assidue des livres de sociologie, soit des deux. On s’y reconnaît, pour peu qu’on ait vécu, qu’on vive encore, dans un village de moins de 3500 âmes, engoncé dans ses habitudes, ses certitudes, son rejet de tout ce qui viendrait de l’extérieur. Entre les petits arrangements entre amis, les coucheries de voisinage, et la magouille à la petite semaine de l’équipe au pouvoir, la satire sociale qui inaugure le roman est assez jubilatoire dans le fait même qu’elle vise juste.
Mais Erwan Larher n’est pas du genre à se contenter d’un seul fil narratif. La fiction va aimanter vers elle nombre d’éléments a priori hétérogènes que l’écriture (rythmée en diable, avec de belles harmonies) va lier entre eux comme un assaisonnement le ferait pour rendre homogène un plat fait de nombreuses préparations. Le thème de l’altérité (Sam, cet étranger venu dé-ranger un village) se redouble de celui de l’identité sexuelle. En effet, nul au village ne parvient à déterminer si Sam est un homme ou une femme (Samantha ?). Être hybride ou androgyne au passé tenu secret (Sam a disparu des radars de Google), « iel » apporte dans la fiction une grammaire singulière qui permet à son auteur de garder le mystère. Ce n’est pas la moindre réussite du livre que de nous plonger dans cet intersexe où féminin et masculin se marient, effacent les frontières, et donnent naissance à un neutre qui est la marque de l’indifférenciation, celle aussi de l’altérité acceptée. L’indécision quant à la sexualité de Sam fait un contraste saisissant avec l’identité très affirmée des villageois. Une identité qui se fonde plus sur le rejet de l’étrangéité que sur les fondations historiques du village. En s’intéressant à l’histoire de Saint-Airy (où le ciment et le PVC sont une injure crachée aux vieilles pierres), c’est peu de dire que Sam va prendre les xénophobes à contre-pied. Et susciter un rejet de la part du maire et de ses sectateurs. On aborde là un troisième fil narratif : celui de la conquête politique, thème récurrent chez Larher qui permet à la fiction de donner à l’utopie un pouvoir que le réel lui refuse. Les idées fusent sur la réorganisation de la démocratie locale et ces pages-là sont revigorantes dans notre époque-ci. Pour mener à bien la mission qu’iel s’est...