La Classe ouvrière blanche : Surmonter l’incompréhension de classe aux Etats-Unis
La campagne présidentielle américaine s’achève début novembre prochain : les démocrates peuvent-ils battre Trump ? Ce livre ne se veut pas prémonitoire et pour cause : il a vu le jour dans le contexte de consternation de l’élection de 2016. Mais les leçons tirées alors par la professeure et juriste américaine Joan C. Williams permettent de remettre en perspective les quatre années écoulées. Et de se questionner : le champion démocrate modéré Joe Biden a-t-il vraiment tiré les leçons de la défaite ?
Au cœur de l’électorat de Trump, rappelle l’auteure, il y a la classe ouvrière blanche, qui donne son titre à l’ouvrage. Non pas la « classe ouvrière » au sens marxiste du terme (le lecteur français sait bien qu’elle n’existe plus puisqu’éditorialistes et politiciens le lui répètent depuis trente ans), mais la white working class, la « classe des travailleurs blancs », perçue ici dans le sens d’un groupe économique et socio-culturel dont le caractère d’homogénéité ainsi que l’assignation « blanche » paraîtront d’ailleurs problématique à certains. Cette classe, qui bouscule partout les ordres établis de l’Europe aux USA, et capable d’élire ici un Trump, là un Salvini, ou encore de déclencher un Brexit.
Au cœur de la défaite démocrate de 2016, il y a donc cette white working class, mais surtout, écrit Joan C. Williams, une « incompréhension de classe » dont serait coupable le camp démocrate. Cette incompréhension aurait poussé les démocrates à se détourner progressivement du sort des travailleurs les plus modestes. À reporter sine die les questions relatives à la pauvreté, à la désindustrialisation et à la difficulté d’accès à l’emploi du plus grand nombre, à la peur de cette classe face aux évolutions sociales en cours, pour se concentrer essentiellement sur un progressisme dont le programme s’adresse d’abord à l’élite urbaine : écologie, numérique et green tech, mondialisation heureuse, droits LGBTQ, lutte contre les discriminations et le racisme, etc. Les travailleurs blancs américains seraient-ils intrinsèquement résistants à ce programme ?
L’ouvrage dès lors se donne à lire comme un livre d’analyse politique en forme de catalogue d’idées reçues, subissant chacune à son tour le feu de la critique : « La classe ouvrière est-elle vraiment raciste et sexiste ? », « Pourquoi les démocrates ont-ils plus de mal à comprendre la classe ouvrière que les républicains ? », « Pourquoi la classe ouvrière ne va-t-elle pas chercher du travail là où il est ? » (en traversant la rue, diraient certains…), etc. Chaque chapitre est ainsi l’occasion d’un examen qui aboutit à un constat : la white working class américaine n’est ni particulièrement inapte économiquement, ni hostile au progrès, ni fondamentalement réactionnaire, ni particulièrement sexiste ou raciste (l’auteure réserve quelques savoureux rappels sur les pratiques de discrimination sociale et ethnique mises en place par l’élite économique américaine). Elle aspire simplement à une vie digne et à un emploi stable et rémunérateur. Trump est tout simplement le seul à le leur promettre.
Retour au présent : en 2020, le choix de Joe Biden plutôt que Bernie Sanders comme candidat démocrate semblerait bien avoir éloigné pour quelque temps encore la white working class des préoccupations démocrates. Le spectacle d’une Amérique de plus en plus scindée en deux, particulièrement après Charlottesville, ou après la mort de George Floyd, et la parole décomplexée du suprémacisme blanc, ne plaide pas en faveur de la réconciliation de classe que l’auteur appelle de ses vœux. Pour le 3 novembre, il est cependant encore permis d’espérer.
Mais là où le livre s’avère encore stimulant, c’est lorsque le lecteur français, pris au jeu d’un comparatisme tocquevillien, sera tenté de transposer ses analyses au cas français. Entre cette white working class étudiée et la catégorie (tout aussi floue) des gilets jaunes, de nombreux points communs existent. Et c’est sans doute une même morgue de classe qui la vise : les gilets jaunes, comme chacun sait, sont peu éduqués, violents, anti-écologistes, xénophobes, et noyautés par l’extrême droite. Ce n’est donc pas le moindre des mérites de cet ouvrage que de comprendre les causes du mal, et d’offrir quelques éléments pour les contrer. Avant qu’un (ou une) Trump, en France, ne réussisse le même hold-up électoral qu’outre-Atlantique.
Etienne Leterrier-Grimal
La Classe ouvrière blanche :
Surmonter l’incompréhension de classe aux États-Unis
Joan C. Williams
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Carole Roudot-Gonin,
Éditions Unes, « Idées », 150 pages, 20 €