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En grande surface Jaune pisseux

juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215 | par Pierre Mondot

Longtemps, Alexandre Jardin fit commerce de bons sentiments. Période à présent révolue. « Jouer le vivisecteur des passions, ça suffit », promet-il dans le long avertissement par quoi s’ouvre Française, son nouveau livre. Parce que l’heure est grave, « parce que ça va mal finir », l’écrivain remise au vestiaire le gilet rouge du romantisme et revêt la chasuble jaune du Çavapétisme. Pour dire la misère du monde et l’insurrection qui vient, il choisit le roman de préférence à l’essai, car « l’émotion est plus subversive que l’idée » (comme dirait Adolf). Il a conscience des risques, prévoit qu’autour de lui, nombre de ses amis ne manqueront pas de lui reprocher « d’avoir écrit telle ou telle page trop lucide », mais que voulez-vous c’est le prix de la vérité.
Kelly Francœur s’éveille un matin dans sa voiture sur le parking désert d’une discothèque. Elle a été violée (« On m’avait crevé l’oignon ») et le cadavre de Léon (son chien) gît sur la banquette arrière. La jeune femme renonce à porter plainte. La justice est trop lente, trop clémente et elle refuse d’être « de ces filles dont l’histoire se raconte à partir d’un abus ». Elle mènera l’enquête par ses propres moyens et se vengera seule de son agresseur « en l’émasculant ».
L’héroïne de ce rape and revenge se présente comme « intenable de franchise ». Contrariée, elle gifle : « J’aligne à l’emporte-joie, j’exécute, je dévisse ». Enchantée, elle s’allonge : « Submerge-moi, Didier ! Acharne-toi sur mon corps… » Dans le giron familial, deux sœurs : Cindy, mariée à un chauffeur de bus radicalisé qui interdit l’accès de son véhicule aux filles en jupettes (véridique, Alex l’a lu dans Valeurs actuelles). L’autre, c’est Cerise. Cerise, et pas Jennifer ou Kimberley ? On devine ici une pique jalouse adressée à sa consœur Aurélie Valognes dont le best-seller porte ce fruit pour titre. La cadette se trouve en effet moquée pour « réduire la question sociale à un sujet de développement personnel ». Pour la punir de sa naïveté, Kelly couche avec son mari (le fameux Didier-qui-submerge, obstétricien, maire et cancéreux terminal). Comme leur amour est impossible, elle convole avec un éclairagiste empêché d’ouvrir une boutique de fleurs à cause d’une rampe pour handicapés trop basse de huit millimètres (véridique, Alex l’a vu chez Jean-Pierre Pernaut). Car chacun des personnages croisés par la narratrice devient l’occasion d’une anecdote illustrant les injustices quotidiennes subies par les « classes invisibles ». Didier, par exemple, ne peut pas construire de logements sociaux du fait de la présence sur le terrain ciblé d’un Hibiscus sodomus. Ainsi se voient dénoncés pêle-mêle les déserts médicaux, les frotteurs du métro, les musulmans, les zones blanches, les bobos parisiens, l’administration, les heures sups non payées des gendarmes, les musulmans, les délocalisations, les normes européennes, le code du travail et les musulmans… Sans compter le sodomus qui ouvre d’intéressantes perspectives. Nulle émotion à la lecture de ces jérémiades, mais l’impression pénible de consulter une série de pétitions enregistrées sur change.org.
La majorité de ces mécontents habitent Vire, ce qui n’étonnera pas compte tenu de la spécialité locale. L’action aurait pu aussi bien se dérouler à Cambrai. La Normandie jardinienne paraît artificielle : les puissants s’y montrent cyniques et libidineux tandis que le bon peuple a le cœur sur la main. Le réel, au contraire de ce que pense le gros Alex, ne se reconnaît pas à sa brutalité, mais à sa complexité : les mines de Montsou ont autant de vérité que le salon Verdurin.
Kelly, quant à elle, exerce comme professeur de lettres vacataire dans des collèges paumés. Double bénéfice pour le romancier : son héroïne peut s’exprimer (à peu près) correctement et témoigner légitimement des souffrances de la France périphérique : elle est mal payée, le rectorat l’envoie dans les coins les plus reculés du bocage quand le gazole est hors de prix et tout ça « sans compter les heures à préparer mes cours en m’escrimant sur les sites opaques et byzantins des éditeurs scolaires qui rendent tortueux l’accès aux exercices corrigés ! » Malgré cette concession au vraisemblable, Kelly parle faux. Selon cette mythologie de la gouaille, qui veut que les pauvres s’expriment comme les truands d’Audiard ou les flics de San-Antonio. L’auteur confond franchise et incontinence, prend la politesse pour de l’hypocrisie et pense qu’il faut écrire cru pour l’être. Son style lui vaudra sans doute plus d’ennemis que sa clairvoyance.

Pierre Mondot

Jaune pisseux Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°215 , juillet 2020.
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