Hélène Bessette, l'injustice et l'insolence
- Présentation Nom de code : LNB7
- Entretien Matière vivante
- Papier critique Amours impossibles
- Autre papier Liberté totale
- Autre papier Deux raisons d’admirer la littérature d’Hélène Bessette
- Autre papier L’échappée solitude du roman poétique
- Autre papier Mystère B7
- Autre papier Une parole en colère
- Entretien « Contre l’ordre social et patriarcal »
- Bibliographie Bibliographie
D’abord, Bessette est une virtuose de la composition. C’est une dimension à laquelle personne n’a l’air de s’intéresser ces temps-ci, mais qui est essentielle à l’écriture et même l’écriture essentielle. Bessette compose par destruction, comme cela se pratique dans la musique vivifiante de son époque, elle casse : le récit attendu est détruit, la régularité est détruite, et c’est par ce travail de sape, et non pas par quelques idées affichées à la surface du texte, que passe sa critique politique virulente, la critique du récit admissible, usiné pour entrer sans heurt dans les esprits qui ont été accoutumés à ce patron par un siècle de recensions académiques. Bessette a cette écriture, qui m’intéresse particulièrement, de motifs, dont elle organise la variation et le retour, et une telle écriture demande une lecture en prise avec ce travail de la structure, une lecture qui ne soit pas captive de la seule ligne narrative. Il y a un récit manifeste chez Bessette, il joue le jeu de la narration, mais c’est une narration en éclats, où le lecteur peut reconstituer quelques épisodes d’une histoire sans toujours parvenir à les joindre et encore plus difficilement à les ordonner dans une chronologie. C’est que la mémoire, la conscience de ce qui a été vécu s’affranchit volontiers du classement chronologique, les événements ne s’inscrivent pas dans une perspective, ils se dispensent facilement de l’ordre d’antériorité, et Bessette, elle, refuse l’ordre d’un récit de convention.
Deuxième raison de mon admiration, le fil de trame de toute sa littérature est un mouvement d’insurrection. Elle expose à l’agression de la lumière les évidences d’une culture dont les usages sont observés pour maintenir la domination. Une domination de propriétaire sur sa propriété : la maîtresse de maison sur son personnel de service, le mari sur son épouse, le couple parental sur sa fille, la directrice sur son institutrice, les parents d’élèves sur l’institutrice qu’Hélène Bessette a elle-même été. Coalition de tous pour la domination du « nous », c’est la parole de tout un chacun qui assujettit, sert l’entente des dominants, des installés, une parole sans origine déterminée, qui adopte toutes les voix utiles à l’exercice de sa puissance. C’est ce « tous » qui prétend, à la place des dieux, régler les vies humaines. Et cette domination s’exerce sur l’individu paradoxal, un « moi » plein, irrépressiblement singulier, une personne que rien n’a diminuée, inconvenante pour ne pas entrer dans les conventions, un peu le portrait d’Hélène Bessette en personne, singleton inassimilable.
Nicole Caligaris