Le revoilà, le feu follet des banlieues, le redresseur de torts, le Scapin des temps modernes, le bavard impénitent par qui la philosophie arrive sur la scène du théâtre. Vingt-cinq ans après sa première apparition, c’était Ahmed le subtil, revoici le « citoyen universel, représentant qualifié de l’humanité véritable ». Il n’a rien perdu de sa verve. Il questionne les mots, leurs sens, leurs jeux. Il les décompose, les observe, puis les recompose dans une nouvelle forme : transcendant devient « trans sans dents » et morigène « Le Maure, il gêne ». Les noms propres rivalisent avec les noms sales. Il interroge, digresse, revient, s’amuse de tout et apostrophe son public. Il déconstruit les concepts, enfourche le coq, préfère finalement passer à l’âne et se permet pour finir de nous expliquer ce qu’est la philosophie. Au passage, il aura été question bien sûr de citoyenneté, de poésie, de sa cousine Fatima, de l’ordre des scènes au théâtre, bouleversé par le bavardage d’Ahmed qui ne s’en tient pas à ce qui est prévu et oublie de donner des informations, d’où la nécessité de rajouter une scène 3 bis après la 5 : « Mais comme c’était la scène 4 et qu’on arrive à la scène 7 sans avoir fait la scène 3, je vous fais la scène 3 d’abord située entre la 6 et la 7. » Mais tout cela bien sûr n’est pas gratuit : il s’agit pour Ahmed/Alain Badiou de s’intéresser de près, de très près aux enjeux de nos sociétés modernes. Car Ahmed est un bateleur, un histrion, ne craignant ni dieu ni diable, s’amusant des puissants et les tournant en dérision. Et l’auteur est avant tout philosophe. Et il entend bien mener une réflexion philosophique dans une forme théâtrale. En questionnant en premier lieu le théâtre : qui est le personnage ? Où est le comédien ? Dès le début l’un s’en va chercher l’autre pour que la pièce puisse commencer. Alain Badiou ne doute ni du théâtre, ni de la politique ni de la philosophie. Il est homme de convictions, et la dernière phrase d’Ahmed nous le rappelle : « Tous philosophes, et le monde changera de face, et si nous ne sommes rien, nous serons Tout. »
PGB
Ahmed revient d’Alain Badiou
Actes Sud-Papiers, 48 pages, 8,50 €
Théâtre Ahmed revient
juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Le Matricule des Anges n°195
, juillet 2018.