Joël Baqué, écrivain sans frontières
Commençons par décerner une hypothétique palme d’or à la quatrième de couverture du nouveau roman de Joël Baqué : « Un homme traverse une brocante. Il se laisse tenter. On emballe son achat dans de vieux journaux. Les choses s’enchaînent. Il devient une icône de la cause écologique. » Ajoutons que cet homme s’appelle Louis, et qu’au moment où il traverse le vide-greniers, il est un charcutier toulonnais à la retraite. Veuf de surcroît. Fils d’une Carcassonnaise, qui plus est. Et d’un père comptable (n’en jetez plus). Qui a fini écrasé par un éléphant en Afrique (!). Ajoutons encore que ce qu’il achète au vide-greniers, c’est un manchot empereur dont il s’éprend (!!).
Louis n’a pourtant rien d’un déséquilibré. Sa vie a été réglée comme papier musique. Une mère aimante. Une adolescence rappeuse (sous le nom d’artiste de Fuck Dog Louis) dévouée à Chantal Garage, la voisine qui « était une enfant sage / elle avait pas la rage / et préférait tourner les pages / des livres qu’elle lisait / plein de mots et sans image » mais dont la grâce ne suffit pas à pérenniser la fibre poétique de Fuck Dog Louis, redevenu Louis au moment où charcutier à Toulon il travaille pour un patron qui a une fille, Lise et un « épagneul épileptique » Fédor. C’est Lise qu’il épouse, page 40 et enterre page 42 après une vie de couple rue Lavoisier où leur seule véritable progéniture fut une « superbe trancheuse à jambon, une Clinencourt électrique trois vitesses et tout alu. (…) Au-delà de sa valeur d’usage, la Clinencourt acquit une charge érotique » après que pour fêter son achat Lise et Louis inaugurèrent leurs parties de jambes en l’air dans la chambre de découpe. « Ils eurent ainsi de longues années d’un bonheur paisible jusqu’à ce qu’un petit point sombre repéré sur une radiographie mammaire de Lise fasse tache d’encre et assombrisse leurs vies. ». Nous sommes à la page 42, la même qui voit quelques années plus tard Louis prendre sa retraite et c’est page 58 qu’il tombe amoureux d’un manchot empereur. Et c’est le début d’une aventure qui va conduire notre héros en Antarctique puis aux confins du Québec sur la piste des chasseurs d’iceberg. Inquiet du sort que la fonte des glaces réserve aux manchots empereurs, Louis va acquérir une dimension planétaire, héros de la cause environnementale. À son corps défendant, certes.
Drôle et cocasse, le roman se lit comme on surferait sur une vague géante qui traverserait les océans. Une vague que chaque phrase vient renouveler avec une fluidité qui étonne d’autant plus que les trouvailles sont nombreuses. Par exemple, si l’on rit ici de voir « la bibliothécaire aux lèvres crispées, dont le chignon en forme d’étron plaisait aux mouches » (p.81) ce n’est pas seulement pour la justesse de l’image, l’allitération qui marie chignon et étron. C’est aussi parce que l’auteur convoque à nouveau les mouches, qui rappellent les « essaims de mouches blanches » qui assaillent Louis sur sa motoneige en Antarctique page 8 : « Mais...