Conséquence N°2
La jeune revue Conséquence, dirigée par Paul Laborde et Victor Martinez, orienta son premier numéro vers les écritures philosophiques. La rédaction, dans ce nouvel opus, constate que la « capacité du discours philosophique à rendre compte de ses modalités linguistiques suppose en retour comme un étouffement de l’expérience aveugle que la poésie permet. Notre sentiment s’impose : il est temps de suivre cet appel. (…) Plus question d’observer les liens qui unissent la langue et les formes d’existence, il s’agit d’éprouver le vivant qui parle à son point de palpitation le plus nu ». Dont acte. Sous la coupe d’une décision revenue de Bataille, subodore-t-on, ou d’Artaud (irrécupérable), le projet de Conséquence est ici de donner exemple du surgissement d’un paradoxe tenu (et venu de Blanchot) : « il faut détruire et détruire la destruction ». Si une telle expérience peut s’envisager, elle ne va pas non plus sans un étouffement de son expérience, mais elle suppose autant (c’est l’art de la contradiction) une distance par laquelle les liens entre les formes de langage et l’existence s’exposent. Ceci dit, on peut en effet parier sur la poésie comme une expérience qui affole l’apparence, la fait éclater, jusqu’à la rendre à sa rage convulsive. Ce numéro s’y emploie avec rigueur et passion.
Les neuf pages inédites d’André du Bouchet s’exposent à la mort, à ce que ce vocable de quatre lettres aveugles compacte de son instant impossible et fuyant : ainsi est-il écrit que « la mort, comme je l’aurai mise au monde, elle m’a donné le jour. Pour / éclairer // comme aujourd’hui le nouveau je m’y attache, le monde indépendant éclaire // (…) de la terre étendue à celle qui est debout, c’est le front, à nouveau, le dehors / qui sera à ouvrir ». Trois sections œuvrent ensuite à l’organisation du numéro : de « Sentinelle de neige » (qui emprunte son titre au texte éponyme de Gamoneda – sublime évocation de son ami ouvrier vitrier et peintre Jorge Pedrero), à « Allons plus bas », jusqu’aux « Poèmes pas d’amour », se distribuent vingt et un auteurs. Une famille se dessine immanquablement, que l’on pourrait comprendre entre l’œuvre de Bernard Noël (on y lira des très impressionnants extraits de « Tombeau de Lunven »), et quelques grands aînés, Esther Tellerman ou Jean-Claude Schneider dont l’hypothèse poétique scanne la douleur du monde : « si lumière de partout / écrase // ombre tient les vivants dans sa laine / à chacun sa nébuleuse / de seul // où ensemble bougent dans leur coque / l’œil / et le contour flottent des choses ».
Si l’on peut y lire des voix frères, telles celle de Guy Viarre et Cédric Demangeot, Billy Dranty ou Marques de Souza, on découvrira ici Choman Hardi (née dans le Kurdistan irakien), ses cinq pages hallucinées sur le génocide commis par Saddam Hussein contre les Kurdes (campagne dite d’Anfal). Résonnent aussi, en un autre sens politique, les proses documentaires de L’abri Tripton (née à Valparaiso, Indiana) titrées « Calais postcards ». Retenons également les notes de Stéphanie Ferrat (« silence, complètement. Dans ce jaune acide et immobile »), ainsi que « Les jours obscurs » de Prune Mateo dont la phrase, quasi impersonnelle, nomme les moments d’un sujet hagard dont ceci : « une personne normale / n’est pas censée regarder / les / choses si longtemps ».
E. L.
Conséquence N° 2, 216 pages, 22 €
208, avenue du Maine 75014 Paris