Eric Vuillard fait sa Révolution
Il est rare de trouver dans une œuvre littéraire aussi peu d’éléments biographiques sur l’auteur qui l’a composée. Depuis Conquistadors, au moins, les livres d’Éric Vuillard peuvent tout au plus nous révéler de leur auteur de quoi sont faits ses colères et ses penchants. Dans les causes des premières on mettra pêle-mêle les puissants, une certaine bourgeoisie, le capitalisme, la morgue. Du côté des seconds : le peuple, l’Histoire, la littérature. Et ses livres vont des unes aux autres faisant ainsi le procès d’un monde moderne qui commence à sentir le sapin. Des massacres péruviens d’une conquête espagnole avide d’or (Conquistadors) à ceux, plus au nord, célébrés par Buffalo Bill dans son show qui marque la naissance de la société du spectacle (Tristesse de la terre), en passant par les horreurs d’une colonisation africaine (Congo) et le grand suicide de l’Europe (La Guerre d’Occident), l’écrivain fait une œuvre tendue et incandescente où la colère est une énergie et la beauté des phrases un espoir.
Avec ça, bien difficile de découvrir le parcours d’un homme dont l’apparence, soignée, semble vouloir écarter de lui toute curiosité. Affable, l’homme n’est pas un ours. Mais enfin, de là à s’épancher, il y a tout un fossé et il faut insister un peu pour obtenir quelques éléments de réponse sur le parcours d’un homme qui préfèrerait sûrement rester invisible derrière ses livres.
Au cours de la discussion Éric Vuillard lâche une image transmise par sa mère : « je venais de naître. Elle me portait sur le balcon d’où elle voyait mon père sur une barricade. » C’est mai 1968, nous sommes à Lyon et c’est ce mois-là et dans cette ville-là que l’écrivain naît. Son père est un jeune chirurgien, probablement alors en lutte contre le mandarinat, « mais il n’était pas de gauche ». Installée dans un appartement non loin de l’Hôtel-Dieu où le père travaille, la famille accueillera un autre fils et une fille. Pour couper court à une description de la vie familiale, Vuillard use d’une ellipse comme on en trouve dans ses livres : « Ma chambre était près de l’entrée et donnait sur la bibliothèque. Deux solutions s’ouvraient à moi : prendre la clef des champs ou lire. J’ai fait les deux. »
La bibliothèque parentale offre un échantillon de livres assez représentatifs de l’époque : les classiques Larousse voisinent avec les livres de poche sur les tranches desquels se lisent les noms de Camus, Cesbron, Sartre, Mac Orlan, etc. Excellent élève que l’école ennuie profondément, le jeune Éric se lie d’amitié avec le fils d’un concierge et aime traîner dans les rues de la Croix-Rousse avec les autres gamins. Les vacances se passent dans un village alpin de la Drôme à mille mètres d’altitude où les parents se sont mis en tête de retaper tout un village alors en ruines. On y reviendra.
Dans la capitale des Gaules, la grand-mère maternelle, « avec laquelle je m’entendais bien » l’initie aux livres de peinture, d’art, l’entraîne quelquefois au cinéma....