Nevers, préfecture de la Nièvre, 35 000 habitants. Une petite ville de province, dont on imagine qu’elle ne changera jamais et que toujours entre Loire et faïences elle maintiendra son statut provincial exemplaire. Nevers for ever : l’auteur joue avec les mots. Quinze jeunes gens, au bord de l’âge adulte, se retrouvent dans la ville de leur enfance. Rien n’a changé, mais tout est parti, eux les premiers. Ils la connaissent par cœur et pourtant ne la reconnaissent pas. Elle est la ville de leur enfance, mais leur enfance s’est effacée à jamais. « On croit Nevers éternel, on croit qu’on n’oubliera jamais Nevers, et puis on y revient, on y pense avec nostalgie, on se fait une raison et raison se fait sur Nevers, on est déçu. » Cette réunion marque un repère important dans leurs vies. Elle est tout à la fois un point de départ et une ligne d’arrivée. Comme un espace ténu glissé entre le passé et l’avenir.
Dès leur arrivée ils s’installent dans une grande maison, propriété de l’une d’entre eux et au milieu des souvenirs, des rires, du festin et des verres levés, plane une ombre que l’on devine : l’un d’entre eux manque. Il s’est probablement suicidé, ici, dans cette maison, mais sa présence reste une ombre jamais élucidée. Et puis il y a cette jeune fille, Maria Noone. Toujours présente, elle ne parle jamais. L’amie du disparu peut-être… L’intrigue de la pièce est minimaliste et l’on devine que ce n’est pas dans ce cas le souci premier de l’auteur. S’agit-il d’ailleurs vraiment d’une intrigue ? Tout au plus un élément fort de leur histoire commune. Car Moreau, c’est avant tout une écriture. Polyphonique, poétique, elle entrecroise les prises de paroles des différents personnages et propose un bel exercice choral. Elle peut se faire brève, sèche, saccadée, propice à un travail très rythmique de la part du groupe, mais aussi plus lente, plus évocatrice, déroulant des phrases qui nous emmènent dans l’intimité des personnages. Le lieu, la situation sont prétexte aux confidences, aux aveux, aux évocations. Il se dégage de ce texte un charme, une émotion qui tient peut-être aux conditions dans lesquelles il a été écrit. C’est au départ une commande de Serge Tranvouez pour le spectacle de fin d’études de la promotion 2014 de l’École Supérieure d’Art Dramatique. Il le dit lui-même dans la préface : « Affirmer cela ne dévalue en rien cette œuvre. L’histoire de l’art est une histoire secrète de la commande. Faire une commande à un auteur est une marque de confiance et l’affirmation d’un désir. »
Mais la commande crée des con-traintes. Et Moreau les utilise. Il écrit l’histoire d’un groupe de jeunes gens qui pourrait être ce groupe d’élèves. Les personnages ont l’âge des comédiens, portent les noms des comédiens et cette fin de cycle, ce besoin ou cette envie de se retourner sur le chemin parcouru ensemble pourraient être les leurs. Pas de nostalgie, pas de regrets, mais un regard étonné sur ce qui fut, sur ce qu’ils furent, sur ce qui a changé et sur l’avenir qui les appelle. Un étonnement mêlé d’inquiétude : « Nevers pour moi n’est pas un lieu de pèlerinage. Nous le savons bien, non ? (…) Nous le sentons depuis la gare de Bercy. Nous le ressentons profondément. Même si le jeu des retrouvailles est réjouissant, j’avoue. Il y a tout de même une certaine appréhension. Une certaine nervosité ? Non ? » Mais ils sont partis une première fois conquérir le monde, insouciants et remplis d’espoir. Ils repartiront de nouveau et, on le devine, une dernière fois, coupant définitivement les ponts avec Nevers et brûlant les derniers souvenirs pour ne pas être tentés de revenir. Échapper à la douceur. Échafauder un avenir en gardant au cœur les blessures de l’enfance. La vie commence. Encore une fois.
Patrick Gay-Bellile
Nevers for ever, de Moreau
Quartett, 128 pages, 13 €
Théâtre Un présent suspendu
septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176
| par
Patrick Gay Bellile
Dans Nevers for ever, quinze amis reviennent dans la ville de leur enfance pour saluer et quitter leur passé.
Un livre
Un présent suspendu
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°176
, septembre 2016.