Jean-Philippe Leclaire fut l’auteur en 1998 d’une première biographie de Michel Platini : Le Roman d’un joueur. Les récentes tribulations du champion l’ont poussé à remettre sur le métier son ouvrage pour en livrer une nouvelle version, cette fois intitulée Platoche. On mesure à l’écart des deux titres la corrosion subie par l’idole, et ne s’étonnerait pas qu’à ce rythme, d’ici peu, paraisse une ultime édition titrée Le Gros Michel.
« Je suis mort à 32 ans, le 17 mai 1987 » écrivait l’ancien numéro 10, en ouverture de son autobiographie. Exagération lyrique ? Romantisme de vestiaire ? Peut-être pas. Comment qualifier sinon ce dimanche et cette fin d’après-midi pluvieuse, cette minute où le milieu de terrain lève les yeux vers le ciel rose et mauve au-dessus du Stadio Comunale et réalise qu’il a eu tout ce qu’il désirait, que jamais plus désormais il ne sera aussi heureux.
En réalité, Platini s’est éteint deux ans plus tôt, en brandissant torse nu et radieux un trophée en fer-blanc au milieu du cimetière du Heysel : « Je vais vous dire une chose terrible : à Bruxelles, je n’ai jamais pensé aux morts. » Le football cesse alors pour lui d’être un jeu et son existence, comme celle de Clamence, le narrateur de La Chute hanté par la noyée qu’il n’a pas secourue, bascule alors dans le vide et le malconfort.
Sa carrière terminée, la vie de l’homme devient poussive, comme la course d’un ballon freinée par une flaque. Les premiers temps, sa femme « s’inquiète de voir son mari planté devant la télé en train de visionner et re-visionner ses plus beaux matchs en vidéo ». Pressé de rebondir, il consent à essayer de nouvelles fonctions. Lance une ligne de vêtements, participe à la construction d’un complexe immobilier à Saint-Cyprien. Chaque fois, les projets s’essoufflent. Le costume de l’homme d’affaires lui taille large et il n’est ni Lacoste, ni Trigano. La quatrième chaîne le recrute. Assez vite, la casquette de commentateur le serre. Il officie à l’antenne en boudant, comprend mal que ses confrères lui demandent de préparer les matches : « (…) pas besoin de venir deux jours avant pour savoir s’il faut faire une passe en profondeur ou un dribble… » Il enfile enfin le survêtement du sélectionneur. Là encore, passés quelques succès, le Lycra le démange, la médiocrité des joueurs l’insupporte : « Au début, je me disais : « Mais c’est pas possible d’être mauvais comme ça ». » Platini est un aristocrate. Sa génération grille des cigarettes à la mi-temps, invoque les dieux (ou la pluie, la pelouse, le vent) pour justifier des défaites. Aujourd’hui, on se transfuse à la pause. Puis quand la victoire leur échappe, les joueurs expliquent penauds qu’ils vont se remettre au travail. Ce triomphe de la morale petite-bourgeoise le désespère.
C’est en devenant co-organisateur de la Coupe du monde française que l’homme se réveille. Il comprend alors que le pouvoir le grise, bien plus que l’argent. Pas les limousines, mais les chauffeurs. Pas les jets privés mais les tapis rouges déroulés sous la carlingue, la poignée de main des chefs d’État. Numéro deux de la FIFA, puis président de l’UEFA, l’ivresse est légitime, si rares sont les pantins élus marionnettistes. On peut sourire pourtant de l’ironie du sort qui pousse l’artiste du ballon rond, « capable à quarante mètres de loger le ballon dans une casquette », à désirer le statut de rond-de-cuir.
Au football, ce sont les Allemands qui gagnent. Dans les affaires, ce sont les Suisses. Platoche signe sa fin en défiant Blatter. Il guigne le fauteuil de l’Helvète vieillissant. Ce dernier lui a promis sa succession mais in extremis se ravise et rempile. Vexé, le Français songe que l’autre va lui payer cette feinte de frappe. Bêtement, sous l’effet d’un lapsus, il littéralise l’expression, et réclame à son ancien mentor le règlement d’une vieille créance. Deux millions. Blatter s’en acquitte, attend un peu, et quand Platini rejoint la curée fomentée contre lui, rend public le récépissé. L’ardoise se change en tuile et le triple Ballon d’or se voit interdire pour quatre ans toute activité en lien avec le football.
En exergue de son récit, Leclaire cite Ovide. Un passage du mythe d’Icare qui fait écho aux dernières déclarations du joueur : « Chaque fois que je me rapproche du soleil (…) ça brûle de partout ».
Vous avez dit Icare ? Phaéton plutôt, qui supplie son père Hypérion de lui laisser les clefs du camion solaire mais part dans une échappée folle dès les premières constellations. Considérant que l’ambitieux menace de sa conduite l’équilibre de l’univers, Jupiter le foudroie.
En grande surface La geste juste
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Pierre Mondot
La geste juste
Par
Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.