Jack London, techniques de survie en milieu hostile
Originaire des Hautes-Alpes, dont beaucoup de ses aïeux émigrèrent en Californie au XIXe siècle, Noël Mauberret préside l’Association des amis de Jack London. Il dirigea la Jack London Society aux États-Unis, de 2012 à 2014. Il fut également le maître d’œuvre d’un chantier colossal : la réédition, chez Phébus, en 38 volumes, des œuvres de l’auteur de L’Appel de la forêt.
Jack London, c’est avant tout une énergie créatrice hors du commun. Près de cinquante livres écrits (romans, nouvelles, essais, reportages…) en une quinzaine d’années. Comment expliquer cette vitalité ?
London meurt à l’âge de 40 ans, après avoir écrit cinquante livres, publié trois volumes de correspondance, bâti un ranch qui occupe la moitié d’une vallée, préparé des films, construit un bateau de 17 m pour entamer un tour du monde qu’il n’a jamais achevé… London est doté d’une force, d’une volonté assez incroyable. Enfant, il avait travaillé dans une usine douze heures par jour. Il ne voulait plus être exploité. Et fait ce serment : « Je ne vendrai que ma matière grise, plus mes muscles ». À son retour du Grand Nord canadien, il se fixe alors une discipline : écrire mille mots chaque matin, où qu’il soit, quelles que soient les conditions.
« J’ai toujours, je crois, poussé les choses à l’extrême », confie-t-il dans John Barleycorn, son autobiographie d’alcoolique repenti. Il était insatiable dans tous les domaines…
C’est un homme d’action. Il ne s’économise pas. Et puis, comme Balzac, il est pris par le mécanisme des dettes. Son ranch lui coûte des fortunes, la construction de son voilier Le Snark est un fiasco. Il écrit pour se renflouer. Et il en a marre. « Je suis à un point où je me couperai les doigts de mains et de pieds pour arrêter d’écrire, si je le pouvais. » Il s’épuise par l’alcool, les nuits sans sommeil. « Tu sais, papa est vieux maintenant », écrit-il à sa fille. Il a alors 37 ans.
Mais se mettre soi-même des limites impossibles explique-t-il tout ? On a beau donner des explications rationnelles, on bute sur le mythe. Comment faisait-il, concrètement ? « Pourquoi écrivez-vous autant ? », lui demande un journaliste. « Pour le pognon », répond London. Ce n’est pas seulement une provocation. Il est payé au mot. Il s’adapte au système capitaliste. C’est la loi du marché.
Une remarque quand même : lorsqu’il traverse le Pacifique à bord du Snark, où il n’a rien d’autre à faire que de contempler les étoiles, à focaliser son énergie uniquement sur l’écriture, il écrit son chef-d’œuvre, Martin Eden.
Il avoue d’ailleurs écrire une nouvelle pour pouvoir s’acheter un cheval…
Oui, c’est ça, ou pour se payer un lopin de terre… London avait le goût de l’aventure. Parce qu’il aimait rencontrer les gens. Et derrière chaque aventure, il y a la promesse d’un roman, de nouvelles, d’articles de journaux, de lettres, de photos, qui lui permettent de gagner beaucoup d’argent. Hearst, le magnat de la presse, le...