Qu’ajoute le dramaturge allemand Botho Strauss au texte d’Homère, en adaptant les huit derniers « chants du retour » de l’Odyssée ? En apparence peu de chose. La décadence accentuée du palais d’Ulysse, où des prétendants plus sacrilèges que jamais « répandent leurs immondices » et courtisent une « chose adipeuse, informe, répugnante » que l’on appelle Pénélope. Trois « femmes fragmentaires » qui ajoutent un chœur heureusement plus ironique (nécessaire tribut à la modernité) que tragique. Ulysse est, quant à lui, usé par sa propre légende. Et Anphinomos, le préféré de Pénélope, de glisser perfidement à celui qui revient conquérir sa place : « Quand on s’appelle Ulysse, on ne devrait pas survivre à sa gloire ».
Mais cela est déjà latent dans le texte homérique. Là où Botho Strauss cherche à donner de l’Odyssée une lecture contemporaine, c’est lorsqu’il place les prétendants au centre du théâtre, soulevant la question de la légitimité du pouvoir dans une communauté politique divisée. Ithaque est en cela une pièce de l’après-réunification allemande, où les fantômes du XXe siècle se réveillent. Dans l’une des rares scènes qui s’écarte de la paraphrase homérique, les prétendants prônent l’autocratie, l’esclavagisme et l’armée, font preuve d’une xénophobie pathologique où le Phénicien, vermine menteuse et cupide, apparaît comme victime désignée de doctrinaires d’un IIIe Reich avant l’heure. Or, jamais ce parti pris ne parvient à exister à l’ombre d’un texte qui, comme le Cyclope, semble en permanence prêt à dévorer son glosateur. Il aurait été peut-être plus fécond d’inviter sur scène le grand absent du texte homérique, à savoir le peuple. Pas les prétendants, ces privilégiés sans foi ni loi, mais les artisans, les marchands, les marins, les prêtres qui constituent chez Homère l’anonyme société d’Ithaque. Or cela, pas de regard politique possible aujourd’hui : l’univers homérique n’est fait que pour camper des héros ; il ignore le bas peuple. L’adaptation de Botho Strauss se fait, elle aussi, à distance et paraît du coup à la fois trop familière et trop lointaine.
Etienne Leterrier
Ithaque
Botho Strauss
Traduit de l’allemand par Pascal Paul-Harang
L’Arche, 133 pages, 14 €
Théâtre Les oubliés d’Ithaque
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre
Les oubliés d’Ithaque
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°123
, mai 2011.