A Sangatte, pendant trois ans, un centre d’accueil a hébergé des étrangers en attente de partir pour l’Angleterre. Sa fermeture en 2002 et le battage médiatique qui a suivi ont fait connaître le destin de ces hommes et de ces femmes. Lancelot Hamelin écrit l’histoire tragique de l’un d’entre eux, retrouvé mort sur une plage française pour avoir tenté de traverser la Manche sur un canot pneumatique. Ce texte, que l’auteur a lui-même mis en scène aux Subsistances à Lyon, se présente sous la forme d’un récit à trois voix proche de l’épopée, de la chanson de geste, par son écriture poétique, complexe, ambitieuse, et par son propos. Un homme, Requeim, Requiem mal prononcé, parti parce que « il ne reste rien, même pas / De quoi nourrir cette abeille-ci / Les princes mangent tout le miel », une femme, Julie, et une mouette composent un chœur qui déroule ce vaste poème en huit chants et façonne un mythe sur ce qui pourrait n’être qu’un fait divers : la mort d’un clandestin. Mêlant l’intime et le politique, les mots de Lancelot Hamelin, précis, sonores, traversent le quotidien, s’emparent du réel et tissent, petit à petit, un motif, une figure, un destin : « Oui je vais mourir mais ma mort / Se situe au-delà de moi / Non, je ne meurs pas pour moi-même / Ma vie est aussi au-delà / Du jeune homme qui délaissa / Le seuil de la maison des siens/ Et qui monta dans l’autobus / Pour voir s’éloignant s’effondrer / Sa mère sur le pas de la porte / (…) ».
Sur la plage de Sangatte, un homme est mort, les yeux mangés par les mouettes, une chaussette rouge au pied et l’autre dans la main, comme un enfant déshabillé. Il était ingénieur en pétrochimie, né dans un pays producteur de pétrole et arrivé clandestinement à Sangatte dans la citerne d’un camion. Et la mouette interroge : « Ce sont d’abord les mers ensuite / Les plages et puis quoi enfin / Qui divisent les hommes à mort ». La question est levée.
Patrick Gay-Bellile
Vraiment un homme à Sangatte
Lancelot Hamelin
Préface de Hélène Cixous
Quartett, 110 pages, 12 €
Théâtre Tombeau pour l’inconnu
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Tombeau pour l’inconnu
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°123
, mai 2011.