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Vu à la télévision Chambre d’hôtel

mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123

Le printemps venu, Timothée traversa l’Atlantique. Des amis se pacsaient à Chicago. Il arriva l’avant-veille de l’événement avec l’intention, bien sûr, de visiter la ville, mais dans les rues (où il vit, de ses yeux vit, un cortège de quatre identiques camionnettes quatre fois annoncer en lettres d’affiche la fin du monde pour imminente et même, il n’y avait pour s’en convaincre qu’à lire la Bible, pour le 21 mai prochain), dans les rues le vent était glacial, tandis qu’à l’hôtel large l’écran. De temps en temps Timothée levait le nez, des flocons voletaient semblait-il entre les gratte-ciel, et il s’enfonçait un peu plus sous sa couette à trente-neuf chaînes non payantes. (S’il envisageait de s’offrir un extra comme le lui proposait une annonce, on le rassurait d’une voix de confessionnal : les noms des chaînes ou les titres des films qu’il choisirait ne figureraient pas sur sa note d’hôtel…)

Timothée ne comprenait que très imparfaitement l’anglais. Au début, il crut cela un handicap, mais bientôt il comprit quel avantage c’était. Alors que devant son écran français, il pouvait se laisser distraire par un lapsus ou même séduire par telle subtilité de langage, telle virtuosité de bonimenteur, ici il devrait s’accrocher aux structures du spectacle, et n’en percevrait que mieux les dispositifs.

Le plus ardu fut, pour commencer, de distinguer ce qui n’était pas de la publicité. À cela, trois raisons au moins. La première : il n’existait pas de barrière, de panneau, de jingle signalant qu’on passait d’un programme à une réclame ou l’inverse ; en plein milieu d’un film, et à plusieurs reprises, d’autres personnages surgissaient, inconnus jusque-là, occupés d’un enjeu sans lien apparent avec ceux des séquences précédentes. La deuxième : souvent, les publicités avaient des airs de films, quoique réalisées avec davantage de moyens. La troisième : sur les programmes comme dans les réclames, presque tout le monde paraissait affairé à vendre quelque chose, ne serait-ce que sa personne.

Des avocats (pub) vantaient leur talent à faire cracher au bassinet les fauteurs d’accidents de toutes sortes. Des basketteurs, des golfeurs, des hockeyeurs, des footballeurs (de ce football proche du rugby), des joueurs de base-ball… aux matches cisaillés par des pubs (pour le prochain match, le nouvel énergisant). Des hommes politiques et des présentateurs en costume cravate. Des amuseurs idem, sans doute pour qu’on comprenne bien de qui d’abord ils se moqueraient. Au centre d’un ring, un colosse coachant deux femmes et un homme sur l’art d’impressionner du regard et de la posture l’adversaire – c’est-à-dire n’importe qui, les autres. D’anciens accros confessant (pub) leur addiction et recommandant pour s’en défaire les services de telle clinique. Des séries aux héros familiers de Timothée et d’autres dont il ne doutait pas que nos chaînes en avaient déjà acheté les droits de diffusion. Des faits-divers en veux-tu en voilà. Un film déjà subi dans l’avion. Une émission culinaire. Des pubs, des pubs, des pubs. Des reportages uniquement sur des crises, aux USA ou dans le monde. Aucun documentaire. Les gens ordinaires invisibles sauf s’ils se donnaient en spectacle.

Une image symbolisa le week-end : celle d’un prédicateur noir (il s’en exhibait aussi de blancs), swinguant mollement devant un chœur de beautés pareillement noires, pareillement vêtues de smokings d’un blanc éblouissant, et psalmodiant, en guise de gospel, le numéro de téléphone et l’adresse mail où faire don à leur église. (La concurrence était pléthorique : sur le parcours entre l’aéroport et l’hôtel, dix-huit bâtiments manifestement destinés à la pratique religieuse, et six panneaux publicitaires y invitant…) Timothée eut l’impression d’une immobilité frénétique. Lui, l’homme qui zappait plus vite que son ombre, était ici défié par l’écran même, qui sautait avec fébrilité de coqs en ânes. Mais de tant de récits interrompus ne se dégageait, décidément, qu’un seul discours cohérent : tout n’est que marchandise.

D’un côté, cocorico ! La télé française n’en était pas encore là, non monsieur. De l’autre, brrr ! C’est vers là qu’elle penchait, quand par exemple elle annonçait la suppression du rendez-vous souvent stimulant, tardif mais quotidien, qu’animait Frédéric Taddeï sur France 3. Ou quand l’exercice du journalisme s’y réduisait à tendre alternativement son micro vers la chèvre puis le chou (Cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les Juifs, disait un jour avec son aimable brutalité Jean-Luc Godard.)

Le lundi, au consulat de France de Chicago, eut lieu, pour quoi Timothée avait fait le voyage, le Pacs entre ses amis Jean-Louis et Thomas. Ce fut très bref. L’officiant, une sorte de goret précautionneux, commença par prévenir d’un ton sec qu’il ne s’agissait pas d’une cérémonie. Et il agit en conséquence, le regard fuyant entre son parapheur et son tampon, parvenant à dépouiller d’absolument toute chaleur un instant qui représentait dans la vie des intéressés, ses compatriotes, un moment forcément crucial, à la fois aboutissement et départ. Par contraste, ce sinistre représentant à l’étranger de la République française conféra presque une humanité rétrospective aux images dont Timothée avait passé le week-end à se gaver, comme de sandwiches dans un Mc Do, sans appétit ni plaisir.

Chambre d’hôtel
Le Matricule des Anges n°123 , mai 2011.
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