C’est une étrange société que décrit Caroline de Mulder. De la danse argentine, il faut oublier les paillettes, le jeu de séduction exacerbé, les pas flamboyants. à ces clichés d’apparence, Caroline de Mulder préfère un bal des « cœurs blessés ». Son héroïne glisse sur les parquets son corps mal aimé, « les genoux l’un à l’autre cognés, pointus. Toute droite, dépulpée, thoracique, encagée ». Une crainte tenace du contact avec l’autre, qu’elle soigne par une présence assidue dans le club où l’on danse. Ezechiel, un amant parti cet été, mais que « l’épuisement et l’hiver » ramènent, condense dans ses caresses toutes les problématiques de la relation charnelle. Or, quels que soient les chemins empruntés, la femme qui raconte son histoire ne parvient pas à trouver de solution et « regarde l’amant qui ne fait que passer avec des yeux troubles qui ne sont pas les (siens) ». « Tu me contiens, je te remplis. Tu es creux sans moi, sans toi je me défais. » C’est bien ce drame que miment les couples sur une musique lancinante, en apesanteur, s’accrochant pour ne pas se perdre entre le ciel (la main gauche) et la terre (la main droite), se tenant l’un à l’autre au bord d’un gouffre métaphysique. Paradoxalement, les phrases syncopées de l’auteure, parfois déstructurées, le sens suggéré, n’empêchent pas le roman de se lover dans l’intime. Elles signent au contraire des moments de révolte, ou de grand vertige, qui alternent avec des prises de conscience très claire : « C’est de mort lente que meurt le possible (…), insensiblement il donne dans son contraire qui n’est pas l’impossible, mais le rêve, puis la rêverie, puis plus rien. » à cet effacement correspond dans l’intrigue la disparition de Lou, jeune femme acoquinée à un compagnon violent, un fait divers qui alimente les discussions des noctambules. Un drame pressenti qui aura une influence certaine sur la réflexion de la danseuse désenchantée.
Franck Mannoni
Ego Tango
Caroline de Mulder
Champ Vallon, 213 pages, 16 €
Domaine français Ego Tango
octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°117
, octobre 2010.