B.S. Johnson par Jonathan Coe
L’un et l’autre, l’auteur et son héros secret, Jonathan Coe et Bryan Stanley Johnson. Un écrivain rend hommage à un autre écrivain, et quand un écrivain va, biographiquement, à la rencontre d’un pair, c’est avant tout pour restituer la figure de l’artiste sous l’individu historique et social, s’intéresser à son geste créateur, nous montrer ce qu’il a d’unique et de singulier. Et le livre qui en témoigne, l’histoire de cet éléphant fougueux qu’est B.S. Johnson, relève lui-même de l’art et non de cette vérité impraticable de la science biographique. Car les faits les plus rigoureusement établis et l’honnêteté la plus scrupuleuse ne peuvent suffire à ressusciter une individualité. Et comment éviter l’intrusion du propre dans l’espace restitué de l’autre ? Alors, c’est sous les auspices de l’hypothèse et de l’hésitation, mais aussi de ses errements et de ses incertitudes que J. Coe place sa tentative de ressaisie de la vie de B.S. Johnson.
S’appuyant sur ce qu’il en reste littérairement, et sur la matière brute des archives et des documents, il se laisse conduire par un principe simple : raconter l’histoire avec les mots mêmes de Johnson ou avec les mots de ceux qui l’ont connu, approché, fréquenté. Si bien qu’en plus des témoignages, on trouvera disséminées au fil des pages, de multiples traces de la production johnsonienne - extraits du Journal intime, des romans, des pièces de théâtre, poèmes, notes, articles, lettres, transcription d’enregistrements, bouts de scénarios, rapports - qui nous plongent au cœur de ses activités et nous permettent de mieux appréhender l’homme, de le sentir, littéralement, par tous les sens, de voir combien B.S. Johnson n’est que vibration, émotions, élans. Une personnalité obsessionnelle, anxieuse, provocatrice, réagissant souvent de manière disproportionnée ou agressive à toute forme de rejet. C’est que derrière le créateur sûr de la pertinence de ses stratégies, et intimement convaincu de son talent, se cache un être fasciné par le paganisme, la sorcellerie, les religions pré-chrétiennes. Un homme qu’a bouleversé - Coe le découvre dans un passage du Journal - la lecture de La Déesse blanche de Robert Graves, un livre où il soutient que la poésie a à voir avec les invocations rituelles à la Déesse Muse, qu’elle relève d’« un langage magique rattaché aux cérémonies religieuses populaires (certaines datant du paléolithique) en l’honneur de la Déesse-Lune ». Johnson qui se considérait d’abord comme un poète croira même avoir été en contact avec une « manifestation physique » de la figure de la Déesse blanche, et restera persuadé toute sa vie que la véritable poésie ne se préoccupe que des relations entre les hommes et les femmes - l’une des sources peut-être de ses difficultés et de sa vulnérabilité amoureuses.
Traquant l’incongru et ces « brisures singulières et inimitables » si chères à Marcel Schwob, Coe découvre aussi quelques bizarreries intéressantes. Ainsi Johnson avait la manie de ramasser tous...